Quand Airbus annoncera-t-il son plan de réduction des effectifs ? La question, qui sera tranchée cet été, tient en haleine tout le secteur de l’aéronautique européen. En France, la cascade de licenciements qui devrait suivre pourrait toucher particulièrement les entreprises sous-traitantes jusqu’à mettre en péril certain bassins d’emploi.
C’était la première grosse manifestation post-confinement. Le 30 mai, 8000 salariés de Renault, rejoints par la population locale défilaient à Maubeuge contre les réductions de postes annoncées dans leur entreprise. Pourtant, si l’aéronautique est au moins aussi touché que l’automobile par la crise du Covid-19, on a vu peu de manifestations dans ce secteur mise à part de petites mobilisations éparses (grève contre un Accord de Performance Collective (APC) chez Derichebourg Aéronautique ou rassemblement contre des licenciements dans le bassin industriel d’Albert).
Et pour cause, si les salariés de l’aéronautique se préparent au pire, ils restent pour l’instant suspendus aux lèvres de Guillaume Faury, le PDG d’Airbus, qui doit annoncer des mesures dans l’été sans que l’on sache vraiment à quelle date. Fin juillet, comme annoncé par ce même PDG quelques semaines plus tôt ? Ou dès le 30 juin, lors du comité européen d’Airbus qui regroupera les instances syndicales ?
Combien de postes en moins ?
Si les chiffres officiels et précis ne sont pas encore donnés, Guillaume Faury a cependant annoncé la couleur dans un courrier adressé à ses salariés : « réduction significative du format de notre entreprise est envisagée ».
Ce n’est pas forcément une surprise. Dès la mi-mai, le quotidien Britannique The Telegraph, pronostiquait déjà, d’après une source interne à Airbus et non confirmée par l’avionneur, 10 000 suppressions de postes sur les 135 000 dont dispose le groupe à travers le monde. Pour ce faire, Airbus pourrait avoir recours aux dispositifs de préretraite, de départ volontaire et peut-être également au gel des embauches. Si cela ne suffit pas, des plans de licenciement seront mis en œuvre.
Plus inquiétant encore, le PDG se trouve incapable de prévoir la reprise de l’activité qui devra « attendre 2023 voire 2025 » pour retrouver son niveau d’antan. On comprend vite ce que suppose le caractère flou et lointain d’une telle annonce : le secteur est soumis à de trop nombreuses éventualités pour qu’une prédiction sérieuse puisse être faite.
Être écolo ou compétitif ?
Airbus a en réalité déjà commencé à faire le tri parmi les activités qu’il souhaite sauver, indiquant ainsi vers où les observateurs qui guettent les licenciements doivent tourner leur regard. Le président du CESER d’Occitanie Jean-Louis Chauzy a révélé le 19 juin qu’Airbus prévoyait de confier la fabrication de ses nacelles à la société américaine UTC, qui les produit en Chine et au Mexique.
Pourtant, l’avionneur travaillait déjà sur un programme permettant de produire, à Nantes, de nouvelles nacelles, moins gourmandes en kérosène et moins bruyantes. « Suite à la baisse de notre activité nous avons interrompu ce programme et nous nous sommes tournés vers nos partenaires industriels qui nous offraient les prix les plus attractifs. » a expliqué l’avionneur à La Dépêche du Midi.
Ainsi, face à la crainte de perdre en compétitivité, les vœux pieux « d’avion vert » et de relocalisation ne pèsent pas lourd. Même s’ils sont soutenus par une enveloppe gouvernementale d’1,5 milliards d’euros censée permettre de développer « les technologies de demain ».
Au total, ce sont 450 personnes travaillant sur ce projet à Toulouse et à Nantes qui se verront en sous-charge de travail et donc potentiellement licenciables. Par ailleurs, l’entrepôt aménagé dans la banlieue nantaise pour accueillir une cinquantaine de salariés en 2022 restera vide.
L’été : un feu vert pour les licenciements dans la sous-traitance
Admettons 10 000 suppressions de poste chez Airbus, combien pouvons-nous dès lors en envisager pour la sous-traitance ? Si donner un chiffre serait un pronostic aussi hasardeux et ridicule que d’essayer de prévoir la vitesse de la reprise de l’activité dans l’aéronautique, une chose est sûre : bien plus que 10 000.
Les entreprises les plus stratèges – celles où le rapport de force est le plus brutal avec leurs salariés ? – ont déjà pris de l’avance. Dès avril, Daher, sous-traitant d’Airbus de premier rang, indiquait en interne la possibilité de supprimer jusqu’à 3000 postes sur ses 10 000. Depuis, aucune décision n’a été prise par le groupe familial mais les récentes annonces en CSE font état de près de 1300 suppression de CDI, et de près de 2000 non-renouvellement d’intérimaires (déjà à 80% effectués). « La direction a fait un calcul simple : un tiers d’activité en moins c’est un tiers d’effectifs en moins. Mais c’est trop simpliste pour être vrai, ce sera sans doute revu à la baisse », suppose Liès Taouche, délégué syndical CGT chez Daher aéronautique. Le cégétiste s’inquiète avant tout pour le site de Montrichard (Loir et Cher), qui compte plusieurs centaines de salariés et dont la survie est selon lui menacée.
Même son de cloche du côté du bassin industriel d’Albert, dans la Somme où l’aéronautique est le secteur prééminent. La CGT de l’entreprise SIMRA, qui fabrique des planchers d’avion et des cockpits pour Airbus, a annoncé fin mai que 90 emplois sur 170 étaient menacés. Or l’aéronautique compte 2000 à 3000 emplois directs et indirect dans ce bassin d’une dizaine de millier d’habitant. « Si le bassin d’Albert commence à licencier, on craint le pire pour la ville et ses alentours », commente François Falize de l’Union Locale CGT d’Albert.
Les sous-traitants, dont l’enjeu sera de pouvoir continuer à s’attirer les faveurs du géant Airbus, n’hésitent donc pas à tailler dans leurs effectifs. Ils ont aussi parfois recours aux Accords de Performance Collectif (APC) qui permettent de baisser les salaires des employés sous-prétexte de sauver leurs postes. Un dispositif qui peut s’assimiler à du chantage à l’emploi et qui a été mis en place, chez Derichebourg Aéronautique, non sans contestation des salariés comme nous l’avons documenté dans cet article.
Enfin, les sous-traitants devront aussi faire face au rappel d’un certain nombre de compétences par Airbus. C’est le cas dans l’entreprise Mécachrone à Sainte-Luce près de Nantes qui réalise des finitions de pièces et vient de perdre son contrat auprès d’Airbus. Désormais, ce sont les salariés d’Airbus eux-mêmes qui effectueront ce travail. « On ne va plus fabriquer certaines pièces qui étaient formée dans nos ateliers depuis 15 ans, regrette Jacky Chauvière élu Force Ouvrière à Ouest France, on perdra 74 emplois sur 160 et la spécificité du site ».
Toutes ces situations peuvent se retrouver chez la plupart des sous-traitants d’Airbus et tout porte à croire que les négociations en CSE auront lieu, pour ceux qui ne les ont pas déjà entamées, dès les annonces de Guillaume Faury, soit en plein cœur de l’été. Une période connue pour être peu favorable aux mobilisations.
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