Arkéma usine Lyon désobéissance civile Extinction Rebellion

Arkema : face à « l’impunité » des pollueurs et la montée de l’extrême-droite, la « stratégie du désarmement »

Ce mardi après-midi à Lyon s’ouvre le procès de huit activistes, jugés pour une action de désobéissance civile en mars contre le géant français de la chimie Arkema. Cette action, à l’initiative de Extinction Rebellion et Youth for Climate, visait à dénoncer le rejet de polluants dans le Rhône, entraînant des risques de contamination de l’eau d’une centaine de communes. Martin*, l’un des prévenus, défend le choix de la désobéissance civile face à l’urgence écologique et au contexte politique actuel. Entretien.

 

À 14h30, Martin* comparaîtra ce mardi 18 juin avec sept autres prévenus au tribunal judiciaire de Lyon. Qu’est-ce qui a poussé ce trentenaire sans histoire, sensible aux questions écologiques, sur le banc des prévenus ? L’usine Arkema, située dans l’agglomération lyonnaise. Depuis des décennies, l’usine rejette des composés chimiques, les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées) dans le Rhône. Transportés par le fleuve, ces composés chimiques risquent de se répandre dans l’eau courante d’une centaine de communes. Or, une exposition prolongée aux PFAS peut provoquer « des lésions hépatiques, maladies thyroïdiennes, problème de fertilité, diabète, cancer du sein, des testicules, des reins… », liste Reporterre. Ces PFAS sont surnommés « polluants éternels » en raison de leur longévité toxique dans l’environnement.

Alors, le 2 mars 2024, Martin* s’est joint à plus de 200 militants, à l’appel de XR et Youth for Climate, pour envahir le site lyonnais et demander réparation. Plusieurs d’entre eux ont été interpellés par les forces de l’ordre et placés en garde-à-vue. Huit ont fait l’objet de poursuites.

« Nous condamnons un tel acte, qui non seulement perturbe fortement l’outil de travail de plus de 500 salariés, mais peut également faire courir des dangers aux salariés et aux manifestants, en raison de l’activité industrielle du site, qui est classé SEVESO », a tout de suite réagit le directeur du site, Pierre Clousier, tandis que l’entreprise a mis en avant ses investissements récents pour réduire les rejets polluants.

Or, il y a quelques jours, France 3 vient de révélait, dans une série d’enquêtes, que la firme était informée des graves risques pour la santé de ses polluants « au moins depuis la fin des années 1990 ». Et qu’elle aurait pu stopper leur propagation « il y a déjà dix ans ».

En avril, les bureaux de l’administration d’Arkema ont été perquisitionnés. L’année dernière en effet, après une première plainte déboutée, près de 40 communes voisines ont déposé une nouvelle plainte collective pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Des riverains, dont la santé ou celles de leurs proches est affectée, ont prévu de venir témoigner à la barre, cet après-midi, aux côtés de Martin et des autres prévenus.

 

Rapports de Force : Pourquoi vous êtes-vous engagé dans cette action sur le site d’Arkema ? 

Martin* : Depuis 60 ans, Arkema relâche dans le Rhône des polluants éternels. Il y a eu plusieurs recours juridiques de la part d’associations de riverains. Il a fallu, en plus de cela, des enquêtes journalistiques avant qu’Arkema ne commence à installer des filtres. Ce n’est même pas venu des services de l’État. Et depuis ces enquêtes, il n’y a eu aucune rétribution, aucune justice réparatrice. Face à l’impunité dont bénéficie cet industriel, je ressens de la révolte.

J’ai avant tout participé à cette action pour cultiver la culture de la désobéissance civile. Il y a énormément d’intérêts financiers et stratégiques en jeu : Arkema est une multinationale puissante, proche de TotalÉnergies entre autres. Il est donc difficile de se faire entendre et d’obtenir gain de cause. Pour moi, la désobéissance civile est complémentaire d’autres stratégies comme le lobbying, ou les recours juridiques : c’est une partie de l’arsenal.

Je n’ai commencé à m’engager dans la désobéissance civile que depuis l’automne dernier. Je n’avais jamais fait une aussi grosse action avant Arkema ; seulement des petites à 10 ou 20 personnes. J’ai trouvé cela hyper enthousiasmant. D’abord parce que nous étions nombreux. Ensuite parce qu’il n’y avait aucune notion de violence contre des personnes : uniquement des dégradations matérielles que je trouvais proportionnées au message.

C’est mon petit frère qui m’en avait parlé. Avec lui, j’étais avec l’équipe de grimpe, pour accrocher la banderole. Nous étions cinq dans cette équipe. Tous les cinq, nous faisons partie des huit inculpés…

 

Comment avez-vous vécu la garde-à-vue et la convocation au tribunal ?

La garde-à-vue a été très éprouvante. On nous faisait passer systématiquement les interrogatoires pendant la nuit : à 23h, à 1h, à 2h30 du matin… J’ai trouvé ça dur comme expérience – même si depuis, je l’ai digérée. C’était tout de même 49 heures de garde-à-vue, du samedi au lundi matin au commissariat. J’aurais préféré passer le week-end chez moi…

Le lundi matin, nous avons comparu au tribunal devant une juge des peines et des libertés : j’en suis sorti avec une convocation au procès. Tous les cinq grimpeurs, nous avons écopé des motifs « groupement en vue de commettre des violences et dégradations », « violences et dégradations en réunion », et « refus de donner l’ADN ».

Nos avocats vont plaider la relaxe, en expliquant que nous avons juste posé une banderole, que nous n’avons pas commis nous-mêmes de dégradation matérielle. Ils vont également s’en référer aux lois protégeant la liberté d’expression, puisque la banderole doit être considérée comme un moyen d’expression. D’autre part, au niveau européen, il y a la loi sur l’état de nécessité qui pourrait aussi nous appuyer.

 

Désobéir au nom de l’« état de nécessité » écologique

 

Suite aux mobilisations contre les mégabassines à Sainte-Soline ou contre l’autoroute A69, le rapporteur des Nations Unies Michel Forst a qualifié la France de« pire pays d’Europe » s’agissant de la répression des activistes écologistes, auprès de Reporterre. Après les actions auxquelles vous avez participé, quel est votre point de vue sur le sujet ? 

J’étais au week-end contre le chantier de l’A69, le 8 et 9 juin. On a fait un convoi avec quelques personnes de ma ville. J’étais avec une femme d’une trentaine d’années comme moi, et quatre lycéens de 17-18 ans : d’ailleurs, la jeunesse des manifestants m’a marquée. C’était enthousiasmant de voir autant de gens avec cette ferveur, qui se disaient tous : « on ne va pas se laisser faire ». Mais en même temps, j’en suis revenu assez désespéré. La répression policière empêche l’action, et le coeur de la journée devient la guerre rangée entre manifestants et policiers… Sainte-Soline, l’A69, ce sont comme des guerres ouvertes.

J’entendais les slogans type « acab », « tout le monde déteste la police » et moi aussi, sur le moment, je subissais en tant que manifestant les gaz lacrymo, les violences. Moi aussi, je détestais ce qui était en train de se passer. Mais en même temps, on se retrouve dans une logique de déshumanisation de l’adversaire : et ça me désespère que ça évolue vers ce genre de conflictualité, alors que l’ambition initiale, c’est de désarmer des engins de chantier.

Or, tout cela risque de s’aggraver avec la montée de l’extrême-droite et de l’obsession sécuritaire en Europe, à laquelle on assiste. Ce côté « matin brun » que l’on vit en ce moment en France… Ça m’effraie, vraiment. Car si le RN gagne en puissance, on va clairement aller dans le sens de davantage de pouvoir pour la police.

 

Quel peut être le poids de la désobéissance civile, justement, dans le contexte politique actuel ? 

Ce qui est clair, c’est que malgré les manifestations massives contre les mégabassines ou l’A69, l’État n’est pas à l’écoute. Il passe en force. Il n’y a aucune attention portée à nos alertes. Et ça, je trouve ça terrible. Donc la seule arme que l’on a, c’est de leur faire perdre de l’argent : en ralentissant des chantiers, en détruisant des bassines. C’est pour cela que je trouve la stratégie du désarmement pertinente – en plus de tout le reste.

« Merci aux Soulèvements de la Terre d’avoir initié un nouveau mode de lutte »

Depuis cet automne, la désobéissance civile a pris beaucoup de place dans ma vie. L’une des choses qui m’y a amenée, ce sont les manifestations contre la réforme des retraite. Je n’avais jamais trop manifesté dans ma vie : j’avais juste fait des marches climat. Mais là, pour les retraites, j’ai été à Valence, à 40 bornes de chez moi quand même… On avait bloqué une route, un centre commercial, manifesté… Puis je suis rentré chez moi et j’avais les boules, un grand sentiment d’impuissance : des millions de personnes dans la rue, et zéro recul du gouvernement !

C’est pour ça que j’ai tout de suite trouvé enthousiasmant ce que proposent les Soulèvements de la Terre. Ils cherchent à dépasser ce sentiment d’impuissance, en faisant des actions concrètes. Leur posture, leur approche, leurs stratégies de désarmement, m’ont beaucoup inspiré. Dans la foulée de notre action Arkema, il y a eu le dépôt d’un projet de loi contre les PFAS. Cela a renforcé mon sentiment de légitimité. C’est toujours dur de ne pas savoir quel est l’impact d’une action ; mais cette fois-ci, je me suis dit : on a bel et bien eu un impact.

Sur un plan plus personnel, j’ai l’impression d’avoir exploré beaucoup de choses dans l’écologie : j’ai habité en collectif dans le milieu rural, je fais un travail au service de la transition écologique, j’ai fait énormément de sensibilisation autour de moi… Alors la désobéissance civile, c’est le dernier levier. Celui que je n’avais pas encore exploré. On est plusieurs comme cela, à essayer tout ce que l’on peut, jusqu’à se dire : au final, c’est ça qu’il nous reste.

 

*Le prénom de l’interlocuteur a été modifié.