À quoi joue le youtubeur d’extrême droite Papacito ? Déjà convoqué par la BRI en juin suite à une première vidéo où il mettait en scène le meurtre d’un militant Insoumis représenté par un mannequin, il se propose de remettre le couvert, en grand cette fois. Dans une vidéo du 2 décembre posté sur le réseau social trumpiste Gettr, et révélée par Libération le lendemain, l’influenceur politique propose à son public de tourner un nouveau scénario. Celui d’une attaque à la voiture bélier contre une manifestation d’extrême gauche, suivie d’une fusillade à l’arme de guerre. Or ce type d’attaques est actuellement très en vogue dans l’Alt-Right, un mouvement extrémiste américain dont Papacito incarne l’une des figures françaises. Derrière l’intention humoristique revendiquée, on peut donc s’interroger sur les motivations réelles du Toulousain.
Des corps projetés en l’air, comme des mannequins désarticulés, par un 4×4 fonçant délibérément dans une foule de manifestants. Les conducteurs qui en sortent pour tirer sur les « gauchistes » à l’arme de guerre. Ces images ne sont pas celles de Charlottesville en 2017, immortalisées par le photographe Ryan Kelly récompensé par un prix Pulitzer ni l’une des vidéos amateurs capturant une de ces très nombreuses attaques de cortège au véhicule bélier, bien réelles, survenues aux États-Unis ces derniers temps. Comme à Seattle, le 8 juin 2020, où un homme a foncé dans un groupe de manifestants Black Lives Matter (BLM), avant de tirer à l’arme à feu dans leur direction. Non, ces images sont celles de la nouvelle « taquinade » que Papacito se propose de tourner pour ses fans. « Je veux faire une vidéo ou je commande 100, 200 mannequins en fait. D’accord ? Et avec ces mannequins, on simule une manifestation d’extrême gauche : on fait les banderoles, on leur fout leurs t-shirts et tout. […] Le titre de la vidéo ça serait « l’extrême gauche est-elle pare-buffle », tu vois ? Et je rentre dans les mannequins avec le cruiser, et je prends un 12, et avec Code Reinho, on éclate la manif à coup de 12. On éclate la manif avec du calibre OTAN, tu vois ce que je veux dire ? »
Une incitation au terrorisme que l’humour cache difficilement
S’il présente son projet avec un enthousiasme manifeste, le vidéaste prend néanmoins la précaution de demander l’avis de son « noyau dur de fans », ceux qui l’ont « suivi sur Gettr », un twitter alternatif américain lancé par un ancien porte-parole de Trump et qui accueille le gratin de l’extrême droite mondiale. Si Papacito, Ugo Jimnez de son vrai nom, y a ouvert un compte, c’est qu’il fait partie de la « diaspora alt-right » française, redoutant de voir son contenu censuré par les plateformes traditionnelles, comme l’explique le chercheur Nicolas Baygert. Celui-ci définit l’Alt-Right comme « une alliance englobant la culture de trolls en ligne, la mouvance masculiniste et les identitaires », et observe que « les codes de la dissidence s’américanisent. Le discours « patriote » jadis francocentré s’efface régulièrement au profit d’un humour transgressif franchisé : ressorts humoristiques « netflixisés », icônes alt-right globalisées ».
Or c’est justement ce lien entre « humour transgressif » et passages à l’acte bien réels que mettent en avant les chercheurs qui étudient le phénomène aux États-Unis. Dans le pays, le nombre d’incidents où des véhicules percutent, souvent délibérément, des manifestants, est en pleine expansion. Ari Weil, de l’Université de Chicago, a ainsi pu en dénombrer 104 rien qu’entre le 27 mai et le 2 septembre 2020, période marquée par d’importantes manifestations BLM. Il a pu établir une intention délibérée et criminelle dans au moins 40 % des cas, motivés dans leur extrême majorité par des idées politiques d’extrême droite. Il explique également que ces attaques se produisent par vagues, quand « des blagues qui encouragent ce type d’actions sont partagées en ligne, et ces mèmes ont des conséquences réelles et dangereuses quand elles parviennent à des conducteurs ».
Des mèmes, ces blagues déclinables à l’infini et partagées de façon virale sur internet, mettant en scène ce type d’attaques sont en effet très populaires chez l’Alt-Right anglophone. Le néonazi J. A. Fields, auteur de l’attaque de Charelottesville, avait ainsi partagé plusieurs fois l’un d’eux, quatre mois avant de tuer Heather Heyer et de blesser gravement plusieurs dizaines d’autres manifestants. Le chercheur en contre-terrorisme J.J. MacNab explique ainsi que ces mèmes permettent de déshumaniser les manifestants et de normaliser et légitimer les attaques par véhicules à leur encontre.
Ce lien entre la vidéo que se propose de mettre en scène Papacito et d’éventuels passages à l’acte est d’ailleurs fait par certains fans eux-mêmes, en commentaire. « Pour ton idée, je pense que tu devrais mettre une information “ne faîtes pas ça, vous ne vaudriez pas mieux que les terroristes que vous critiquez blablabla”, pour un peu mieux te protéger. Au cas où un mec prend au pied de la lettre ta vidéo… », conseille ainsi l’un d’entre eux. « On sait tous qu’un jour où l’autre un mec de droite va péter un câble et va faire un dégât, ils utiliseront ta vidéo pour dire que c’est à cause des gens comme toi qu’on a laissé faire que c’est arrivé », avertit un autre. Un troisième anticipe « Ce serait hilarant MAIS ce n’est pas du tout une bonne idée. Je pense que ce serait direct considéré comme une incitation a passer a l’acte, et on te citera tous les évènements US du même style. ».
Cette inquiétude pour les répercussions légales que risquerait le youtubeur revient d’ailleurs massivement dans les commentaires, venant modérer des approbations très enthousiastes. On lui conseille souvent à ce titre de bien appuyer sur l’aspect humoristique de sa vidéo.
Et c’est bien un esprit « taquin » que met en avant Papacito. Dans une émission de la chaîne d’extrême droite TV Liberté, où il était invité avec deux de ses complices de la fachosphère, Code Reihno et Christopher Lannes, ce dernier expliquait leur stratégie commune : « pour contrer la censure de YouTube qui est très active […] je pense qu’il faut jouer avec les mots, jouer avec les sous-entendus, avec l’ironie. Et c’est ce qui rend notre humour encore plus drôle pour les gens qui nous suivent : c’est d’essayer de lire entre les lignes et c’est ça qui leur permet de décoder, de dire des choses sans les dire. Et ça embête à la fois le système et ça permet de passer des messages. » Code Reihno, co-auteur de Papacito sur la première vidéo, comme sur le nouveau projet, renchéri, « nous on est la phase avant. Nous on peut, par un contenu qui est plus fin, plus évasif, amener ces gens vers du contenu très frontal.». « Papacito, même point de vue ? », demande l’animateur. Réponse : « oui et surtout ça force à être bon, quand il faut trouver des subterfuges pour pas dire certains mots. ».
Accélérer les tensions tout de suite ou attendre la présidentielle ?
Il présente donc sa future video comme une provocation destinée à Jean-Luc Mélenchon, qui a déposé plainte à son encontre suite à la première. Mais en des termes plutôt guerriers. « Il sait que c’est comme la guerre du Vietnam : il l’a déclenchée, il sait pas quand elle va s’arrêter. Et là, y’a des cadavres de jeunes Américains qui rentrent à la maison avec un drapeau dessus. Et il comprend pas, il faut expliquer aux familles. Et c’est ça qui est en train de ce passer. Voilà. Donc je vais pas m’arrêter en si bon chemin. Donc je vous pose la question : est-ce qu’on fait une vidéo comme ça ? ». Il annonce donc vouloir mettre en scène le meurtre de masse de « manifestants d’extrême gauche » pour placer le candidat de la France Insoumise dans la position d’un président dont les troupes sont tuées par une guérilla victorieuse.
Et dans les commentaires, certains semblent en effet se préparer à la guerre civile. Si, comme l’ont relevé Maxime Macé et Pierre Plottu dans leur article, les réponses insistent beaucoup sur l’impact négatif que pourrait avoir une telle vidéo sur la campagne de Zemmour, pour certains, les perspectives politiques ne s’y limitent pas. « sois patient attends la victoire que l’on espère tous et là tu pourras te régaler autant que tu veux. ». « Après les élections Go que ce soit une victoire ou pas. Il faudra HONNORER et SANCTIONNER. », « Vaudrait mieux faire des choses plus intelligente jusqu en avril et ensuite lâcher les chevaux quelque soit le résultat. », « On a besoin de ton cerveau à présent et moins de tes muscles. Au moins pour aider Zemmours à passer. Une fois fait tu pourras rouler sur la manif 4% », peut on ainsi lire. À se demander si les commentateurs font bien la part des choses entre provocation virtuelle et action bien réelle. Une envie manifeste de faire monter la tension une fois l’échéance électorale passée. Et l’idée qu’une vidéo telle que se propose de réaliser Papacito y contribuerait concrètement.
Il est en tous cas difficile de croire que Papacito, qui avait posté sur son compte Instagram un badge représentant George Floyd et qui publie sur Gettr, le réseau social créer par un soutien de Donald Trump pour y héberger tout les censurés de l’extrême droite, ignore le contexte américain. Difficile également de croire qu’il ignore les passages à l’acte entraînés par le genre de blagues de l’Alt-Right qu’il reprend à son compte en France.
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