Argentine, grève générale

Grève générale : l’Argentine au ralenti


Depuis son arrivée au pouvoir il y a cinq mois, le président d’extrême droite Javier Milei fait subir à la société argentine un choc ultralibéral. Ce jeudi 9 mai, les syndicats appelaient à une deuxième grève générale contre les « politiques d’ajustements », la loi Bases et la cure d’austérité imposée à la population.

 

Peu de bus ou de métros, pas plus de taxis et de trains, au moins 700 vols annulés dans des aéroports vides, des salles de cours désertes des écoles à l’université, des banques fermées, pas ou peu de ramassage des ordures et des rues commerçantes peu fréquentées dans les grandes villes d’Argentine ce jeudi. La grève générale organisée par le premier syndicat du pays, la CGT, les deux centrales syndicales CTA, et soutenue par les mouvements piqueteros et divers secteurs sociaux et politiques, a été largement suivie.

 

La contestation des mesures Milei prend de l’ampleur

 

Contrairement à la première grève générale du 24 janvier, le secteur du transport de voyageurs était appelé à s’arrêter pour 24 heures ce 9 mai, au lieu d’une grève de 19h à minuit au début de l’année, afin de permettre au plus grand nombre de venir manifester devant le Congrès, où la loi omnibus était alors en débat. Ce jeudi, la quasi-totalité des syndicats nationaux et provinciaux du transport appelait à la grève et l’objectif n’était plus à l’organisation d’une manifestation de masse dans la capitale argentine.

Ainsi, pas de transport de voyageurs de courte, moyenne ou longue distance. Pas de train longue distance non plus, pas plus que de train suburbain à Buenos Aires. Dans la capitale le syndicat des travailleurs des taxis, comme celui des conducteurs de métro, a rejoint l’appel à la mobilisation. Le transport aérien est quasi totalement à l’arrêt, alors que la compagnie nationale fait partie des entreprises publiques que le gouvernement souhaite privatiser, via la « loi bases » qui remplace la « loi omnibus », que Javier Milei n’a pas réussi à imposer au Parlement en février dernier.

Mais la grève n’a pas concerné que les transports. En plus des fonctionnaires appelés à cesser le travail, elle a touché fortement les banques, les hypermarchés et les centres commerciaux, la santé, où seules les urgences ont été assurées, les ports, ainsi que l’éducation. Dans ce secteur, cinq syndicats enseignants nationaux, ainsi que des syndicats provinciaux, appelaient à la mobilisation. Dans les universités, après les manifestations monstres du 23 avril contre les coupes budgétaires massives, où près d’un million d’Argentins étaient descendus dans la rue, l’ensemble des syndicats se sont joints au mouvement de grève.

 

Salaires en baisse, licenciements et pauvreté en hausse

 

Cette seconde grève générale intervient alors que le gouvernement a réussi à faire adopter sa loi « Bases et point de départ pour la liberté des Argentins » au congrès la semaine dernière. Celle-ci doit maintenant être examinée en commission au Sénat cette semaine. Avec plus de 200 articles, elle est une version un peu allégée de la loi omnibus qui en contenait plus de 600. Mais elle reste une potion ultralibérale que Javier Milei veut imposer aux Argentins, en plus de la dévaluation de la monnaie de 50 % en décembre dernier, de la libéralisation des loyers ou encore de la baisse des pensions. Le texte prévoit toujours la privatisation de plusieurs entreprises publiques (11 au lieu de 60 initialement), dont les compagnies aériennes et ferroviaires nationales ou la radio et la télévision publique. Mais aussi, une réforme fiscale avantageuse pour les investisseurs étrangers et une réforme du travail. Sans compter des pouvoirs élargis pour la présidence en matière administrative, économique, financière et énergétique, aux dépens du Congrès, pour une durée d’un an.

Mais sans même l’adoption de ce texte de dérégulation, la situation économique et sociale s’est encore dégradée pour les Argentins depuis cinq mois, sous l’effet des mesures gouvernementales. « Une baisse réelle de 31 % des postes budgétaires pour les retraites et les pensions, de 87 % pour les travaux publics, de 39 % pour les subventions aux transports, de 76 % pour les transferts aux provinces, de 18 % pour les universités et de 13 % pour les programmes sociaux. Ce ne sont là que quelques-uns des indicateurs qui montrent que l’ajustement n’est pas payé par la caste, mais retombe plutôt sur les secteurs les plus vulnérables », dénoncent dans une déclaration commune inédite la CGT et les deux CTA.

 

 

Une politique que le gouvernement tente de son côté de présenter comme efficace. Celui-ci valorise abondamment que l’inflation augmente moins vite au mois d’avril (+9%), même si celle-ci progresse tout de même à 51 % au premier trimestre 2024 en Argentine. Autre motif d’autosatisfaction pour Milei : le premier trimestre enregistre un solde budgétaire positif. Certes une première, mais en mettant un coup d’arrêt brutal aux dépenses publiques (moins 35%), dont les conséquences sont socialement catastrophiques. Et au prix d’une récession économique grandissante, que le FMI évalue à près de 4 % pour l’année 2024, et dont le recul de 21,2 % de la production industrielle en un an, selon l’agence de statistiques INDEC, est une illustration.

En attendant, les licenciements se multiplient dans le secteur privé, en plus des 15 000 opérés par le gouvernement chez les agents de l’État sur les 70 000 prévus d’ici la fin de l’année. Et le taux de pauvreté explose pour atteindre des niveaux historiques. Selon une étude de l’Université catholique argentine, publiée le 17 février, elle s’élevait à 57,4 % en janvier, contre 44,7 % six mois plus tôt. Quant à l’extrême pauvreté, elle passait de 9,6 % de la population en novembre 2023 à 15 % en janvier 2024.

Une raison suffisante, à elle seule, de mobilisation pour les argentins. Mais peut-être un frein à celle-ci. « On sent que Milei baisse dans l’opinion publique et que de plus en plus de gens sont en colère. On ne perd pas espoir, mais la situation économique et sociale dégringole tellement vite qu’il est difficile de pouvoir organiser la riposte », explique Bast, un militant de la Federación de organizaciones de base autónoma, qui participait ce jeudi à une marche vers la maison présidentielle, avec l’ensemble du secteur piquetero. Malgré les difficultés à organiser la résistance aux mesures du gouvernement, la deuxième grève générale de l’année en Argentine pourrait connaître des suites rapidement. « S’ils ne répondent pas, nous procéderons à une grève de 36 heures, prévient Rubén Sobrero, du Syndicat des chemins de fer. Nous proposons à la CGT de recevoir un mandat pour appeler à la grève de 36 heures s’il n’y a pas de réponse à la grève de 24 heures ».