bloquons tout

Que devient « Bloquons tout » ? 

Si « Bloquons tout » n’a pas réussi à mettre la France à l’arrêt le 10 septembre, l’événement a indéniablement dynamisé la rentrée sociale de 2025. Mais doit-on parler du mouvement uniquement au passé ? Car, bien que moins remplies, les assemblées générales continuent à avoir lieu et les militants à s’organiser.

Mercredi 10 septembre aux aurores. Un peu partout en France, plusieurs dizaines de milliers de manifestants, souvent jeunes, tentent de bloquer des axes de circulation, des entreprises, des lycées, ralliés derrière le mot d’ordre « Bloquons tout ». Systématiquement, ils sont délogés par les gaz ou les coups de matraque des 80 000 policiers et gendarmes déployés ce jour-là. Un jeu de traque s’instaure. « La journée a été longue. J’étais dehors de 5 heures jusqu’à 22 heures et je n’ai pas arrêté de bouger : blocage le matin, puis rassemblement à Châtelet, puis à Place des fêtes. Il y avait beaucoup de monde, c’était assez galvanisant », témoigne Quentin*, militant syndical qui a participé aux assemblées générales à Paris. Il rentre chez lui exténué.

Si les blocages du matin restent limités, les manifestations de l’après-midi sont fournies : 250 000 participants selon la CGT, 175 000 selon le ministère de l’intérieur. « Bloquons Tout », né sur internet pendant l’été, dynamise la rentrée sociale de 2025 et met au premier plan de la scène médiatique la lutte contre l’austérité et son monde.

Pourtant, l’objectif de bloquer la France est loin d’avoir été atteint, encore moins sur la durée. « C’est un questionnement qu’il faut poser. Pourquoi, même si le mouvement continue, on n’est pas dans une stratégie de blocage telle qu’on a eu avec les gilets jaunes, ou, telle qu’on a pu voir dans les « DOM-TOM », c’est-à-dire les colonies de l’Etat Français, où il y avait de vrais blocages dans la durée, bien avant les gilets jaunes ? », constate Rob*, membre du Barricade, un collectif anticapitaliste et anti-autoritaire de Montpellier qui a réalisé un podcast sur le mouvement. « Je ne pensais pas que le 10 septembre allait suffire à lui seul. C’était un catalyseur, un moment où on se rassemble pour lancer quelque chose. On s’est peut-être trop concentrés sur le blocage et pas assez sur la massification », s’interroge Quentin*.

Depuis, deux dates de grèves intersyndicales ont émergé : le 18 septembre et le 2 octobre. Mais aucune nouvelle date de mobilisation nationale « Bloquons tout » n’a fait consensus comme l’avait fait le 10 septembre. Pendant ce temps, les assemblées générales (AG) qui avaient réuni plus de 15 000 personnes au total au mois d’août se sont vidées. « À Toulouse, on a eu un pic de fréquentation avant et après le 10 septembre, avec plus de 300 personnes en AG. Ces dernières semaines, on est entre 50 et 100 personnes. On est dans un creux du mouvement », estime E*, militante toulousaine au NPA-Révolutionnaires.

Pourtant, « Bloquons tout » ne s’est pas totalement éteint. De nombreuses actions et réunions locales ont eu lieu et se poursuivent. Dans la zone commerciale de Guer, petite commune du Morbihan (56), une occupation régulière du rond-point a été relancée depuis le 10 septembre, sous l’œil bienveillant des automobilistes. Des barbecues, des barrages filtrants, des tractages et d’autres actions sont régulièrement organisés par « une union de prolos qui se sont fait exploiter dans le coin », nous rapporte-t-on. Entre vingt et quarante personnes se relaient pour mener des actions régulières dans une zone commerciale où se côtoient McDo et Lidl. Leur calendrier d’action s’est autonomisé de celui des journées de grèves intersyndicales.

Si cette initiative reste limitée et exceptionnelle, elle rappelle que les AG « Bloquons tout » ont aussi fédéré au-delà de la seule jeunesse urbaine, puisque le mouvement a réuni plus de 150 assemblées générales au mois d’août, y compris dans des petites communes. Mais les initiatives qui y sont menées passent bien souvent sous les radars.

En ville, les actions ont aussi continué, même si elles se sont surtout concentrées autour des dates posées par l’intersyndicale. « À Montpellier, il y a eu des blocages des universités, coordonnés avec Bloquons tout, des barrages filtrants et tractages sur la voie rapide, des vélorutions (manifestations, voire blocage à vélo, ndlr)… », explique Rob* du Barricade*.

L’énergie libérée le 10 septembre a également redynamisé les réseaux militants et permis à d’autres personnes de les rejoindre. « À Paris nous avons relancé des cantines pour ravitailler les points de blocage et les piquets. Nous avons trois points fixes qui servent à cela. On s’organise en réseau avec d’autres villes qui font pareil  », raconte Quentin*. Cyril*, qui a participé à l’AG de Saint-Denis (93) cet été et travaille dans la fonction publique, complète : « J’ai arrêté de me rendre aux AG car je trouvais dommage les critiques contre les syndicats. Mais la dynamique du mouvement m’a relancé syndicalement. J’ai commencé les réunions sur mon lieu de travail. »

Le mouvement a aussi permis d’inventer ou de populariser de nouvelles actions, tels que les « vélorutions », les « opérations canard » (blocage piéton consistant à traverser la route sans cesse), ou encore les « caddies zombies » (laisser un caddie rempli dans un rayon de supermarché). « Cette dernière action ne m’a pas convaincu, mais ça montre que le mouvement se cherche », constate Pierre*, militant libertaire à Alès engagé dans le mouvement du 10 septembre. 

« Je pense que si le mouvement reste en attente des dates posées par l’intersyndicale, il va s’essouffler et se tasser. Mais je pense qu’il pourrait très bien déborder ce calendrier. Tout est possible car la colère des gens est réelle avec l’inflation, la difficulté à finir les mois… Beaucoup de personnes sont à bout et ont envie de dégager Macron. En plus plein de choses se passent en même temps : la question de la Palestine qui a explosé en Italie, les 300 000 licenciements en France qui donnent des mobilisations combatives dans les entreprises…ça peut craquer à plein d’endroits », estime E* du NPA-Révolutionnaires.

Parmi nos interlocuteurs, la volonté de sortir du calendrier de l’intersyndicale, jugé « perdant », revient souvent. Alors, pour tenter d’organiser de nouvelles actions nationales, les discussions continuent sur les messageries et dans les AG. « Le mouvement n’est pas centraliste, ce qui permet qu’il soit plus démocratique mais rend plus difficile l’émergence d’une nouvelle date nationale », analyse Pierre*. « Sur Paris, je vois passer l’idée selon laquelle les AG d’arrondissement devraient faire remonter leurs volontés dans les AG de département, puis d’Ile-de-France. Mais pour l’instant on en reste au stade d’échange d’information », poursuit Quentin*. Après un appel « à déborder le 2 octobre », issu d’une réunion nationale dématérialisée, deux dates semblent émerger : le 14 octobre, par ailleurs journée de grève en Belgique contre le gouvernement Arizona, et le 8, 9 et 10 octobre, où l’idée et de construire un mouvement reconductible s’esquisse.

« Je pense que la perspective intéressante qui est ressortie de diverses AG c’est l’idée d’avoir une grève reconductible le 8, 9 et 10 octobre. S’il n’y a pas de construction d’un mouvement à minima reconductible, où tu joins la grève et le blocage, il va être difficile de peser. Une autre chose que je note c’est que le mouvement est surtout un mouvement de jeunesse et qu’on voit l’émergence, dans d’autre pays, d’une « Gen-Z » (18-25 ans, ndlr) qui se mobilise fortement contre l’austérité. Il y a peut-être un parallèle à faire », estime Rob* du Barricade.

Alors que la France attend un nouveau gouvernement, les manifestations de l’intersyndicale n’ont pas fait le plein ce 2 octobre. La grève reste également à un niveau modeste. Les éventuelles prochaines initiatives nationales du mouvement « Bloquons tout » seront donc à suivre de près.

*Les prénoms ont été modifiés.

Crédit photo : Serge d’Ignazio