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8 mars : « la grève contre la réforme des retraites et la grève féministe vont se renforcer »


 

Cette année, le 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, a lieu au lendemain d’un départ en grève reconductible contre la réforme des retraites. Une convergence qui ne doit rien au hasard. Mais comment ces deux mobilisations peuvent-elles se renforcer ? Réponses.

 

« Notre souhait, c’est que le 8 mars 2023 fasse entièrement partie du calendrier de la bataille contre la réforme des retraites », confiait Murielle Guilbert, dans les colonnes de Rapports de Force, dès le 7 février. À l’époque, la co-secrétaire générale de Solidaires faisait part de sa volonté de voir la grève reconductible se construire autour de la journée internationale du droit des femmes. Une stratégie à double objectif. D’une part, affirmer que ces dernières sont les premières victimes de la réforme (voir notre article). De l’autre, renforcer la grève contre la réforme des retraites. « Le 7 mars et le 8 mars, on n’aura pas les mêmes populations dans la rue. L’idée c’est que le 8 mars permette un élargissement des publics. Les deux journées vont se renforcer l’une l’autre », veut croire Sophie Binet, secrétaire générale de l’UGICT-CGT (syndicat des cadres et technicien) et en charge de l’égalité femmes/hommes au sein de la commission exécutive confédérale.

 

Qui fait grève le 8 mars ?

 

Depuis plusieurs années, les organisations syndicales – notamment Solidaires, la FSU et la CGT – et les associations féministes, souhaitent faire de la journée du 8 mars une journée de grève massive, comme c’est le cas dans d’autres pays voisins, notamment en Espagne. Pas simple. « C’est vrai que ça reste plus difficile de populariser la grève féministe en France », confie Malcy Cathelineau, de la coordination nationale de Nous Toutes.

Pour autant, la jonction entre luttes syndicales et luttes féministes n’a rien d’un vœu pieux. Elle a pris de nombreuses formes ces dernières années jusqu’à devenir un facteur de syndicalisation (voir notre longue enquête sur le sujet). « On a remarqué que les femmes font grève le 8 mars surtout lorsqu’elles mènent déjà des luttes dans leur secteur. Par exemple, en 2018, les femmes qui étaient fortement en grève dans les crèches à Lyon étaient aussi en grève le 8 mars. On a vu la même chose se produire avec des grèves d’assistantes maternelles – les gilets roses – de sages-femmes, ou encore à la Caisse National des Allocations Familiale en 2019. Enfin, depuis l’an dernier, il y a un appel à la grève lancé par une intersyndicale large dans le secteur de la santé. Cette année, la nouveauté c’est que plusieurs secteurs seront en grève reconductible : cheminots, RATP, énergie, raffineries… On sait déjà qu’ils mèneront des actions spécifiques en faveur des droits des femmes le 8 mars. Ils peuvent aussi venir gonfler les rangs des manifestations », rappelle Sophie Binet.

 

Racisme et sexisme au travail : des luttes qui s’imposent dans les conflits sociaux

 

Dans ces conditions, quoi de mieux qu’une journée de lutte pour les droits des femmes en plein mouvement social massif ? « En 2010, on a fait pour la première fois une analyse féministe de la réforme des retraites, en affirmant que les femmes seraient les premières touchées. En 2019, Édouard Philippe a voulu faire du féminisme washing en prétendant que les femmes seraient “les grandes gagnantes” de la retraite à points. Résultats, on a encore développé notre argumentaire pour démontrer que c’était l’inverse. À chaque fois, on a renforcé la dimension féministe de la lutte contre ces reformes. Finalement, le 8 mars 2020, placé en plein mouvement contre les retraites a été l’un des plus gros », continue Sophie Binet.

En effet, en 2020, les organisatrices ont revendiqué 60 000 manifestantes et manifestants à Paris, 2000 à 3000 à Montpellier, 6000 à Rennes, 10 000 à Lyon ou encore 4000 à Toulouse. Des chiffres qui pourraient être dépassés cette année.

 

Le 8 mars pour construire une grève reconductible ?

 

Certes, la mobilisation contre la réforme des retraites pourrait permettre de faire grossir la mobilisation du 8 mars. Mais la lutte pour les droits des femmes peut-elle alimenter la grève reconductible ? Certaines militantes en sont convaincues, comme Margot, du planning familial 69. « Les militantes féministes sont très engagées dans la lutte contre la réforme des retraites. Nous relayons tous les appels à la grève et, depuis le début des manifestations contre la réforme des retraite, nous avons créé un cortège féministe à Lyon. Surtout : on a relancé une assemblée générale féministe avec une caisse de grève spécifique pour les femmes précaires, comme nous l’avions fait en 2019. Ça avait eu un certain succès avec plus d’une centaine de personnes réunies à la bourse du travail de Lyon, sur plusieurs dates et plus de 10 000€ recueillis. Pour l’heure ces AG ne sont pas aussi fournies qu’en 2019, mais avec la séquence 7-8 mars, c’est possible qu’elles se remplissent. À terme, l’objectif c’est que l’AG féministe fasse le lien avec l’interpro. On a aussi pour but de développer une garderie pour enfants pour permettre aux femmes de faire grève et de se joindre aux manifestations. »

Côté CGT, on a également des idées. « La reconductible, ce n’est pas forcément l’arrêt de travail toute la journée. Notre confédération appelle à la reconductible “sous toutes ses formes”. On pourrait donc imaginer que le 8 mars débouche sur des grèves reconductibles de femmes d’1h ou 2h à partir du 9 mars. Elles pourraient commencer à 15h40, par exemple. Cela paraît plus envisageable qu’une grève totale reconductible, la marche est moins haute », suggère Sophie Binet. Pourquoi 15h40 ? Cet horaire symbolise la dimension sexiste des inégalités salariales : théoriquement, c’est l’heure à partir de laquelle les femmes travaillent gratuitement alors que les hommes continuent à être payés.

 

Mouvement social et luttes féministes se renforcent

 

Évidemment, le combat contre la réforme de retraite ne fera pas oublier les autres combats qui sont menés contre le patriarcat le 8 mars. Malcy Cathelineau, de NousToutes, en est persuadée : « C’est un progrès du mouvement social que de se saisir de la problématique féministe. Nous pensons que, loin de se faire concurrence, tous deux se renforcent. Par exemple, la réforme des retraites a un lien direct avec les violences sexistes et sexuelles(VSS). Plus les femmes sont précaires et âgées, plus leur dépendance à l’égard de leur mari est élevée, ce qui accroît le risque de violences conjugales. D’ailleurs, selon le décompte réalisé par NousToutes en 2022, plus d’un quart des féminicides (27%) ont concerné des femmes de 60 ans et plus. »

« Cette journée de grève est aussi une journée de travail domestique. Cela permet de souligner l’oppression patriarcale ! Bien-sûr, le 8 mars est aussi l’occasion de rappeler notre solidarité internationale ou encore la lutte contre les LGBTQI phobies », rappelle Margot du planning familial 69.

« En 2020, la mobilisation a été fournie pour deux raisons. Parce qu’on était en plein mouvement contre les retraites, mais aussi parce qu’il y avait eu la séquence Adèle Haenel, “on se lève et on se casse”, et l’accent mis sur la dénonciation des VSS. Ce sont toutes ces revendications qui nourrissent un 8 mars », conclut Sophie Binet.

 

Crédit photo : Ricardo Parreira