procès CGT Nord

Au procès du secrétaire général de la CGT du Nord pour « apologie du terrorisme »


 

Ce 28 mars avait lieu le procès du secrétaire général de la CGT du Nord au tribunal correctionnel de Lille pour« apologie du terrorisme » et « provocation publique à la haine ». Accusations d’antisémitisme, ou de « justifier l’attaque du Hamas », l’audience était à l’image des débats houleux en cours depuis le 7 octobre, dans un contexte de forte répression du mouvement pro-palestinien.

 

Dans la grande salle du tribunal correctionnel de Lille, Jean-Paul Delescaut n’entend plus les acclamations des centaines de militants qui se sont massés devant le bâtiment. Les « nous sommes tous Jean-Paul », les discours de soutien du ténor de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, ou de la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, sont désormais couverts par le souffle d’un vent qui tape sur les carreaux et sur les nerfs. Le secrétaire générale de l’union départementale CGT du Nord (UD CGT 59) s’avance à la barre, seul.

Ce 28 mars, pendant près de 6 heures, magistrats et avocats se sont livrés au long commentaire d’un communiqué de l’UD CGT 59 intitulé « La fin de l’occupation est la condition de la paix en Palestine ». Rédigé collectivement par sa commission exécutive, il a été publié sur le site internet de l’UD le 10 octobre. Il fait suite à l’attaque du 7 octobre, lors de laquelle plus de 300 soldats et 700 civils israéliens ont perdu la vie, et anticipe la riposte de l’armée israélienne. Il a été dépublié le 20 octobre à la suite du placement en garde à vue de Jean-Paul Delescaut.

 

Rassemblement devant le tribunal correctionnel de Lille.

 

Les quatre avocats des 3 associations qui se sont portées parties civiles, l’Organisation juive européenne, l’Association cultuelle israélite et la Jeunesse française juive, ont plaidé pendant plus de deux heures. La procureure s’est fendue d’un réquisitoire fleuve. Ils sont unanimes : par ce communiqué, le cégétiste, en sa qualité de responsable de la publication du site internet de l’UD CGT 59, se rend coupable d’apologie du terrorisme. Pour ce délit, le parquet a requis 1 an de prison avec sursis.

Le secrétaire général est également jugé pour « provocation publique à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminées », un délit de presse bien moins lourdement condamné que l’apologie du terrorisme. Le parquet considère d’ailleurs qu’il n’est pas constitué puisqu’aucune population n’est visée dans le communiqué du 10 octobre, seulement la politique de l’État d’Israël.

 

Au procès de la CGT du Nord, Hamas et terrorisme

 

À la barre, Jean-Paul Delescaut, aide-soignant de 52 ans et secrétaire général de l’une des plus grosses unions départementales de la CGT depuis 2016, ouvre les débats par une déclaration. Il rappelle les valeurs de solidarité, de paix, et l’internationalisme de son syndicat. « C’est pour ça que nous avons ouvert une cagnotte pour Gaza, pour Cuba, que nous avons mis en place un convoi pour l’Ukraine ».

Par la suite, contrairement à ce qui a été écrit dans la dépêche AFP de compte-rendu du procès, Jean-Paul Delescaut n’a absolument pas opposé « un mur de silence à chaque question ». S’il a refusé de répondre à certaines mises en cause, souvent très déstabilisantes, des avocats des parties civiles, il a d’abord longuement répondu à la plupart des questions de la présidente.

Devant les magistrats, le représentant syndical qualifie l’attaque du 7 octobre de « terroriste », de même que l’organisation qui l’a perpétrée. Ses avocats emploieront ce terme tout au long de l’audience (voir note en fin d’article).

 

Lire entre les lignes d’un communiqué

 

« Depuis le début de cette audience, on nous parle du Hamas. Les avocats de la partie civile nous disent qu’il est comparé à la résistance. Mais ni le mot “Hamas”, ni le mot “résistance” ne figurent dans le communiqué. Pourquoi a-t-on besoin de prononcer des mots qui n’ont pas été écrits ? », questionne Arié Alimi.

Si l’avocat du militant insiste tant sur la manière dont le parquet et les avocats des parties civiles interprètent les mots du cégétiste, c’est parce que le principal enjeu du procès consiste à établir les intentions de la CGT du Nord derrière le lexique choisi. Les débats porteront, entre autres, longuement, sur le terme « provoqué », employé dans le communiqué.

La juge : Vous écrivez que « les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [ndlr: 7 octobre], elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées ».

Jean-Paul Delescaut : C’est un constat. On est dans une situation qui est une poudrière et où la violence appelle la violence.

– Pour vous, le 7 octobre était une réponse à la politique d’Israël, c’est ce qui est écrit.

– On n’a jamais voulu dire que c’était un acte favorable. On condamne ce qui s’est passé. On écrit qu’on s’incline devant toutes les victimes civiles.

– Quand vous dites que la politique d’Israël empêche toute solution pacifique, est-ce que vous ne dites pas que l’attaque du Hamas était inéluctable, qu’il fallait passer par là ?

– Non, c’est un débat général, ça concerne toute la politique, tout ce qui s’est passé en Palestine depuis des années.

Pour Me Nicolas Benouaiche, avocat de la partie civile, expliquer les actes du 7 octobre, c’est déjà les justifier. « Quand on écrit que les réponses sont “provoquées”, on cherche des justifications à un acte terroriste. Donc on est déjà dans l’apologie du terrorisme. On dénie aux victimes le droit d’être des victimes, on leur dit : “Vous êtes des occupants, vous l’avez mérité”, et on compare les terroristes à des résistants. » Et l’avocat de l’Organisation juive européenne de filer son interprétation : « Imagine-t-on Jean Moulin égorger des bébés? ». Les 3 associations demandent le versement d’1 euro symbolique.

 

procès CGT Nord
Haie d’honneur au moment de l’entrée au tribunal de Jean-Paul Delescaut.

 

Pour Me Ioannis Kappopoulos, autre avocat du secrétaire général de l’UD CGT 59, le verbe « provoquer » est malhonnêtement interprété comme un synonyme de « mériter » par la partie civile. « Au contraire, qu’on me trouve un terme plus neutre que “provoquer” dans la langue française. Le communiqué constate qu’il y a une cause, il ne justifie rien du tout. » Le syndicaliste reconnaît quant à lui « une maladresse » dans la rédaction. « On aurait dû être plus précis, pour que tout le monde ne puisse pas l’interpréter à sa sauce. »

 

« Défendre la lutte armée, pas le terrorisme »

 

Une autre phrase extraite du communiqué du 10 octobre est particulièrement mise en cause :

« En France et dans le “monde occidental” en général, la propagande médiatique, totalitaire, nous présente scandaleusement les conséquences comme des causes, les occupés comme terroristes, et l’occupant comme victime. »

Une dangereuse inversion des valeurs pour la partie civile. « Ce tract transpire le conspirationnisme. On a des musées qui sont remplis de théories comme celle-là. Des musée de l’Occupation, des musées de l’histoire de l’antisémitisme. On nous dit qu’il n’y a pas le mot “juif” dans le communiqué, mais on y parle “d’entité sioniste”. Personne n’est dupe ! », assène Me Nicolas Benouaiche.

Au contraire, pour Arié Alimi, un des deux avocats de la défense, le communiqué ne défend ni le terrorisme, ni l’antisémitisme, mais la lutte armée dans un contexte colonial.

« Le fait de présenter positivement des massacres de civils par des groupes armés dans le but d’instaurer la terreur constitue une apologie du terrorisme, il n’y a pas de doute. Mais il faut distinguer la lutte armée de ses modalités. La lutte armée du peuple palestinien est acceptée par le droit international, parce qu’elle a lieu dans le cadre d’une situation coloniale. La lutte armée, c’est quoi ? C’est l’exécution du droit à l’autodétermination du peuple. L’ANC de Nelson Mandela a fait ce choix à un moment de son histoire, mais pas contre des civils. Vous me direz que le 7 octobre était un massacre de civils. Oui. mais est-ce qu’à un moment le choix des modalités d’action est légitimé par le communiqué ? Non. Au contraire, le communiqué signale que la CGT du Nord “s’incline devant toutes les victimes civiles”. »

Il ajoute :

« J’ai ressenti un malaise à la lecture de certains communiqués d’organisations de gauche et d’extrême gauche après le 7 octobre. Ils étaient parfois teintés d’une lecture historique internationaliste ancienne, je les ai trouvés insensibles. Mais est-ce qu’ils constituaient pour autant une apologie du terrorisme ? », interroge Arié Alimi.

Dans un procès de la CGT du Nord où chacun essaie de lire entre les lignes du communiqué, l’avocat, également membre de la Ligue des Droits de l’Homme, estime que de nombreux doutes subsistent quant aux intentions du cégétiste. « Et le doute doit profiter à l’accusé », conclut-il.

 

Procès de la CGT du Nord ou du soutien à la Palestine ?

 

Chacune des parties s’est également prononcée sur les « éléments extrinsèques » au communiqué, qui doivent être pris en compte dans le cadre d’un procès pour apologie du terroir. Ainsi le contexte politique de publication, la personnalité de Jean-Paul Delescaut ou encore l’histoire de la CGT ont eu droit de cité.

Pour ce qui est du contexte politique : « On observe un climat de remise en cause des libertés et de hausse de la répression syndicale depuis le 7 octobre », a rappelé Sophie Binet, dans une vidéo de témoignage diffusée au cours de l’audience. « L’État a rapidement interdit de nombreuses manifestations d’appel au cessez-le-feu, interdictions qui ont d’ailleurs été levées par la justice » (voir notre article).

 

Répression du soutien à la Palestine : « ces atteintes aux libertés concernent tout le monde »

 

Lors de son discours aux portes du tribunal quelques heures plus tôt, la secrétaire générale de la CGT était plus catégorique encore. Elle avait alors qualifié le procès du jour de « procès politique » et d’« opération de diversion », organisée pour « discréditer par avance tous les soutiens aux Palestiniens ». Et Sophie Binet de rappeler les 32 000 civils déjà « assassinés par le gouvernement d’extrême droite de Benjamin Netanyahou » et la reconnaissance d’un « risque plausible de génocide » de la population palestinienne à Gaza, par un arrêt de la Cour Internationale de Justice, le 26 janvier. Elle a conclu : « Les débats politiques ne se tranchent jamais dans les prétoires »

L’inflation des procédures s’explique en partie par une circulaire du ministère de la Justice, en date du 10 octobre, qui insiste sur l’importance de condamner les provocations à la haine et les apologies du terrorisme dans un contexte de hausse des propos antisémites sur internet. D’ailleurs, selon le ministère de la Justice, interrogé par Le Monde, 626 procédures ont été lancées à la date du 30 janvier 2024, dont 278 à la suite de saisines du pôle national de lutte contre la haine en ligne. Des poursuites ont été engagées à l’encontre de 80 personnes pour apologie du terrorisme ou provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence. Si bien peu sont condamnés à ce jour, c’est le cas de Mohammed Makni, militant du Parti socialiste (désormais exclu) et élu à la municipalité d’Echirolles condamné, ce 26 mars, à 4 mois de prison avec sursis pour apologie du terrorisme.

La secrétaire générale de la CGT estime enfin que ce contexte répressif explique les modalités particulières de l’arrestation de Jean-Paul Delescaut. Le 20 octobre, le syndicaliste avait été interpellé et menotté à son domicile à 6h05, sur ordre du parquet, après signalement de l’ex préfet du Nord, Georges-François Leclerc (désormais directeur de cabinet de la ministre du Travail Catherine Vautrin). Des conditions d’arrestations considérées comme « abusives » et « vexatoires » par ses avocats. « Je pense en effet qu’on aurait pu faire autrement », convient la procureure.

 

Histoire de la CGT, personnalité de Jean-Paul Delescaut

 

Costume impeccable, Stéphane Sirot se présente à la barre. Historien de la CGT, il est cité comme témoin par Jean-Paul Delescaut.

« La CGT a toujours eu des engagements clairs contre les racismes, la xénophobie et toutes les formes d’exclusion. Si bien qu’on ne trouve pas de travaux de chercheurs sur d’éventuels cas de racisme ou d’antisémitisme au sein de la CGT. Donc, du point de vue des historiens, ce n’est pas un sujet. De même, la CGT a toujours été pacifiste et les rares fois où elle s’est écartée de cette ligne, c’était pour soutenir indirectement les mouvements indépendantistes ou pour combattre le nazisme et le fascisme », énumère-t-il.

« On ne juge pas l’histoire de la CGT, on juge un tract », ont répété inlassablement les avocats de la défense, refusant de convenir que le contexte politique pourrait avoir quelque chose à voir avec la présence du syndicaliste sur le banc des prévenus.

Enfin, la dernière plaidoirie, celle de Ioannis Kappopoulos, s’est attardée sur la personnalité du prévenu. Lors des débats, la présidente avait projeté la capture d’écran d’une vidéo Facebook montrant le secrétaire général de l’UD du Nord réalisant deux doigts d’honneurs – « un challenge », selon le cégétiste. Une image censée renseigner l’auditoire sur le caractère du cégétiste et exhumée non sans un certain mépris de classe.

L’avocat en droit social, habitué à côtoyer la CGT du Nord a tenu à rappeler que d’autres photos auraient pu être montrées à l’audience. Jean-Paul Delescaut soutenant les grévistes de Vertbaudet, les compagnons d’Emmaüs, ou encore Jean-Paul Delescaut, aide-soignant, portant un masque à l’hôpital de Valencienne, pendant le premier confinement. « Jean-Paul, que je connais depuis des années, au tribunal pour « apologie du terrorisme » ? Comment en est-on arrivé là ? », a-t-il déploré. Après une audience éprouvante, le syndicaliste est finalement sorti du tribunal aux alentours de 21 heures. Il était attendu par des dizaines de camarades syndicalistes qui avaient passé la journée devant le tribunal. Le délibéré du procès de la CGT du Nord sera rendu le 18 avril.

 

 

 

 

Note : Hamas et terrorisme

Cela n’a pas forcément été le cas dans d’autres procès pour apologie du terrorisme en lien avec l’attaque perpétrée par le Hamas. Il a en revanche réfuté toute apologie des actions du Hamas.

Une caractérisation qui n’allait pas de soi tant elle a fait débat au lendemain du 7 octobre. Si l’Union Européenne considère le Hamas comme une organisation terroriste, c’est plus compliqué du côté de l’ONU. Différents médias (AFP, BBC) se refusent à employer un terme « très chargé politiquement ».