grève RATP 18 octobre

RATP : 40 % de grévistes le 18 octobre face à une rentrée « dégringolade »


Pour cette journée de grève interprofessionnelle du 18 octobre, la CGT et Solidaires annoncent 40 % de grévistes parmi les agents RATP du réseau bus et tramways. Ces salariés se mobilisent depuis des mois, de diverses manières, contre la dégradation de leurs conditions de travail en vue de l’ouverture prochaine du réseau à la concurrence. La rentrée a vu l’entrée en vigueur des nombreuses mesures longtemps dénoncées : temps de travail journalier augmenté, fin de la compensation des services en deux fois, suppression de certaines primes… Face à cette « dégringolade », les prochaines semaines promettent d’être intensives. Mais avec quelles modalités de lutte ? 

 

Les agents RATP des bus et tramways, en grande majorité des machinistes-receveurs (conducteurs), ont répondu présents au rendez-vous du 18 octobre. La CGT et Solidaires, à l’initiative de la mobilisation sur la journée, dénombrent environ 40 % de grévistes sur le réseau. Des piquets de grève étaient installés sur divers centre bus de la RATP, comme celui de Lagny, dans le 20ème arrondissement. Dans la grisaille du matin, à quelques pas d’un lycée bloqué en soutien à la grève du 18 octobre, quelques dizaines d’agents y ont voté une reconduite au lendemain.

Mais au global, si des AG se sont tenues comme à Lagny, la majorité des piquets de grève ont trop peu rassemblé pour que les votes soient réellement représentatifs. À Thiais par exemple (Val-de-Marne), le piquet de grève a été levé dès le matin, faute de monde pour le reconduire. On y comptait près de 30 % de grévistes : « ce n’est pas énorme », commentent Amar et Mohamed, deux machinistes qui y sont rattachés.

La CGT et Solidaires regrettent l’absence de FO RATP, syndicat majoritaire, dans l’appel à la journée du 18 octobre. Une absence qui s’est ressentie sur les piquets de grève. L’organisation syndicale mène en revanche, depuis le 12 septembre, une grève continue impliquant de débaucher pendant 59 minutes par jour. Ce mode d’action est à l’oeuvre notamment au centre bus de Belliard, dans le 18ème arrondissement, où FO est bien représenté.  « Une journée ne suffit pas, on est déjà en grève illimitée sur 59 minutes. On ne va pas dire aux salariés de faire le 18 octobre, et derrière quoi ? On ne voulait pas faire un mélange des genres », se défend Hani Labidi, secrétaire général FO RATP Bus.

 

Une rentrée « dégringolade »

 

Cela fait plusieurs mois que des salariés de la RATP réseau de surface (bus et tramways) se mobilisent sous plusieurs formes. En mars, en mai, mais aussi à l’occasion du 29 septembre, ils ont alerté sur la dégradation de leurs conditions de travail, imposée en vue de l’ouverture à la concurrence du réseau en 2025. Certains dépôts se mobilisent aussi localement, comme celui des Lilas la semaine dernière.

Ces alertes sont devenues une réalité dans le quotidien des salariés. Depuis le 1er août, les nouvelles mesures imposées par une décision unilatérale de la direction de la RATP sont entrées en vigueur. Elles visent à modifier les conditions de travail pour les calquer sur le futur contrat social territorialisé, l’accord-socle qui servira de référence lorsque le réseau de surface sera ouvert à la concurrence, le 1er janvier 2025. « Au nom de la concurrence, nous sommes entrés en maltraitance », estime Sébastien Mélin, secrétaire général de l’Ugict-CGT RATP. Le responsable a pris le micro devant le siège parisien de la RATP où une assemblée générale se tient ce 18 octobre. Une centaine de personnes y est rassemblée ce midi-là, prête à rejoindre la marche parisienne dans la foulée.

Depuis septembre, surtout, la RATP peine à assurer l’offre de services exigé par Ile-de-France Mobilités. « C’est la dégringolade, la catastrophe. On est à plus de 26 % d’offre non réalisée, c’est trois fois plus qu’en grande couronne », explique Hani Labidi de FO RATP. « Et ce n’est pas dû à la pénurie de personnel, mais bien aux nouvelles mesures ». 

 

« On brade la sécurité »

 

Les changements dans les conditions de travail sont désormais très concrets pour les conducteurs de bus et de tramways. D’abord, l’amplitude horaire journalière a augmenté. La moyenne de service est désormais de 7h34, lissée sur trois mois ; contre 7 heures maximum par jour auparavant, en été ; et 6h38 en hiver.

« On travaille une heure de plus en moyenne par jour, sans contrepartie », témoigne Ahmed Ouhab, machiniste-receveur, de Solidaires RATP à Lagny. « Par exemple hier, j’ai commencé à 12h09 au dépôt, j’ai fini à 19h39 au dépôt. Ce qui fait plus de 7 heures de service ! Avant, on ne pouvait pas conduire au-delà de 7 heures ».

De même, les services en deux fois (matin puis après-midi) sont désormais imposés sans contrepartie. La prime de 14 euros brut par jour qui y était associée a été supprimée. À Lagny par exemple, « on a un service qui fait 6h47-9h15, puis 10h54-16h07. Il n’y a pas de coupure entre 10h et 16h : donc tu ne manges pas », raconte Frédéric Liévrot, également syndiqué Solidaires à Lagny. « Parfois, ça te fait des journées de 14h, le temps de rentrer », explique celui qui se loge en grande couronne, comme beaucoup de ses collègues. Des amplitudes de travail de 11 heures, sans avoir le temps de manger ? « Ça m’arrive tout le temps », confirme Mohamed, le machiniste-receveur de Thiais.

« On nous demande de transporter les voyageurs en toute sécurité, en respectant le code de la route. Cela implique de la récupération. Or avec les conditions actuelles, ce n’est plus possible », interpelle Ahmed Ouhab. « Ils ont touché à quelque chose de sacré : la sécurité. Pour des questions de coût, on brade la sécurité des usagers ».

 

Arrêts maladies et démissions : « grève invisible »

 

Tous nos interlocuteurs témoignent d’une perte de sens au quotidien. « Les arrêts maladies sont à un niveau bien plus haut qu’avant le covid. Et les démissions sont en augmentation de 33 % en 2021 », chiffre Sébastien Mélin, le secrétaire général de l’Ugict-CGT RATP. Ces mises en retrait sont le symptôme d’un malaise profond. « Il y a une grève visible, mais aussi invisible », juge Ahmed Ouhab. « Des collègues sont dans la lutte mais en burn-out, d’autres en abandon de poste parce qu’ils n’ont pas d’autre choix pour montrer leur mécontentement. Certains ont dix, quinze ans de boîte et s’en vont… »

Dans ce contexte morose, comment maintenir une dynamique d’ici 2025 ? Certains comptent s’appuyer sur le mouvement social. Cette mobilisation interprofessionnelle du 18 octobre autour des salaires représente « une opportunité sans précédent », martèle ainsi Alexis Louvet, co-secrétaire de Solidaires RATP. « Notre responsabilité, c’est d’aller chercher un par un nos collègues ». 

D’autant que la question des salaires réunit tout le monde à la RATP. Ce qui n’est pas le cas de l’ouverture à la concurrence et de ses impacts : le métro ne sera concerné – en théorie – qu’en 2039. Sur les piquets des conducteurs de bus et de tramways, les collègues du métro brillent ainsi par leur absence. En cause : un horizon trop lointain, et certaines stratégies syndicales peu porteuses sur l’union des agents.

 

La direction de la RATP créé une prime « de présence »

 

À la fin du rassemblement devant le siège de la RATP, plusieurs responsables syndicaux CGT et Solidaires sont reçus par le responsable salaires de la RATP. Mais celui-ci les renvoie aux NAO (négociations annuelles obligatoires) en début d’année prochaine. « Tous les bénéfices produits par les agents sont reversés dans les filiales, et pas dans l’investissement pour les salariés », rappelle Michel Venon, mainteneur, syndiqué CGT. « L’an dernier, 121 millions avaient été reversés aux filiales. Alors que si une augmentation salariale de 3 % avait été actée, cela aurait représenté 83 millions environ ». La CGT  et Solidaires revendiquent aujourd’hui 300 euros net d’augmentation par mois, pour un rattrapage de l’inflation.

De son côté, la direction de la RATP répond à sa manière à l’enjeu. Elle vient de lancer, à compter d’octobre, une nouvelle prime dite de présence. Celle-ci s’étale sur trois mois. Elle récompense, à hauteur de 100 euros par mois, une présence parfaite du salarié sur tous ses jours travaillés. Un arrêt maladie ? Un accident du travail ? L’agression d’un usager ? Un enfant à aller chercher en urgence ? Ou pire, une journée de grève ? La prime s’envole. « Ils profitent de la misère des agents qui ont du mal à joindre les deux bouts, avec l’inflation actuelle », fustige Hani Labidi. « En août, les nouvelles mesures ont été mises en place. Depuis septembre, c’est la galère, les agents font grève… Et là en octobre, on met une prime carotte ? Cela reflète l’état d’esprit de la direction ».