Intimidations, agressions ou encore préparations d’attentats, tout au long de l’année 2021, Rapports de Force a compilé, cartographié et classé 105 événements violents perpétrés par des militants d’extrême droite. Le phénomène prend-il de l’ampleur ? Quelles sont leurs méthodes favorites ? Quelle ville est la plus touchée ? Réponses dans notre enquête.
1 – Des violences en augmentation tout au long de l’année
2 – Quels modes d’action ?
3 – Lyon : laboratoire des violences de l’extrême droite
4 – Méthodologie
1 – Des violences en augmentation tout au long de l’année
Les premiers mois de l’année 2021 ont été marqués par des mesures restrictives – confinement, couvre-feu – liées à l’épidémie de Covid-19. En limitant les possibilités de se réunir elles ont mis le militantisme, qu’il soit de droite ou de gauche, en partie en hibernation. Il est probable que ce contexte ait eu pour effet de juguler les potentielles violences de l’extrême droite et explique que celles-ci soient relativement peu nombreuses lors des quatre premiers mois de l’année 2021.
A partir du mois de mai, les militants d'extrême droite reprennent leurs actions de rue habituelles en s'attaquant notamment à des occupations de théâtres à Orléans et à Clermont-Ferrand mais aussi à des militants isolés en marge des manifestations pour le climat ou du cortège du 1er mai.
Le nombre d'événements violents continue à croître en août et en septembre, en particulier au sein des manifestations anti passe sanitaire. A cette occasion certains manifestants identifiés comme de gauche sont agressés et des affrontements entre militants antifascistes et groupuscules d'extrême droite éclatent. Enfin, la forte augmentation des violences observée en fin d'année doit beaucoup au lancement de la campagne d'Eric Zemmour. Avec 41 événements violents recensés lors des trois derniers mois de l'année, ils représentent près de 40% de leur nombre total.
Manifestations anti passe sanitaire et retour des rixes
Lors de son allocution présidentielle du 12 juillet, Emmanuel Macron annonce la mise en place du passe sanitaire. Dès le mercredi 14 juillet, des manifestations sont organisées partout en France contre cette mesure et réunissent plusieurs milliers (voire dizaines de milliers à de rares exceptions) de personnes chaque samedi jusqu'au mois de septembre.
Né en dehors des structures syndicales et politiques habituées à manifester, le mouvement anti passe a été l'occasion pour divers groupuscules d’extrême droite de prendre la rue dans de nombreuses villes, comme nous l’avons constaté lors de nos reportages à Toulouse, Nantes ou encore Lyon. Les organisations du mouvement social n'ayant pas réussi à organiser leurs propres manifestations (voir notre article détaillé à ce sujet) des militants de bords politiques diamétralement opposés se croisent alors dans les cortèges.
Conséquence : le temps d'un été, les manifestations contre le passe sanitaire deviennent l'épicentre de la violence politique de rue en France. Ainsi, sur les 27 événements violents recensés lors des mois de juillet, août et septembre, pas moins de 17 ont été commis lors de ces manifestations. Elément notable : on assiste de nouveau à des affrontements de rue entre militants d'extrême droite et militants antifascistes - opposant parfois jusqu'à plusieurs dizaines de personne dans chaque camp - alors qu'ils avaient pratiquement disparu après les premiers actes des gilets jaunes.
Ainsi, sur les 10 rixes que nous avons recensées en 2021, 8 ont eu lieu lors de ces manifestations anti passe sanitaire. Une autre a eu lieu à Paris, lors d’une manifestation contre la précarité étudiante en janvier, opposant le groupuscule d’extrême droite La Cocarde à des militants antifascistes. Enfin, la seule rixe qui s’est déroulée hors d’une manifestation politique a été déclenchée le 28 juin, par l’extrême droite lyonnaise, dans un bar lors de l’Euro de football. Les militants s’opposaient cette fois-ci à des clients et le motif raciste de l’affrontement est fortement soupçonné (voir carte).
Campagne de Zemmour : un climat propice à la hausse des violences
Le polémiste Eric Zemmour annonce sa candidature à l'élection présidentielle le 30 novembre, mais dès le mois d'octobre sa campagne est bel et bien lancée dans les médias et dans la rue. Ce n'est pas un hasard si les trois derniers mois de l'année 2021 sont marqués par une augmentation significative des violences d'extrême droite avec une moyenne de plus de 3 événements par semaine, voire un événement tous les deux jours au mois de novembre.
Sur les 41 événements répertoriés, 8 sont directement imputables à des militants pro-Zemmour voire à Eric Zemmour lui-même (intimidation de journalistes avec une arme non chargée au salon Milipol). Parmi eux on trouve des violences commises par ses supporters, comme l'agression d'un prêtre spécialiste de l'islam à Lille début octobre après une séance de dédicace d'Eric Zemmour, ou encore l'intimidation de Sandrine Rousseau à son domicile dans le courant du mois de décembre.
Mais on retrouve aussi des militants pro-Zemmour lors d'attaques plus conséquentes comme celles des manifestations contre les violences faites aux femmes à Paris et à Valence. Et pour cause, nombre d'entre eux faisait déjà partie de groupuscules d'extrême droite habitués à la violence. La composition du service d'ordre d'Eric Zemmour lors de son meeting de Villepinte le 5 décembre nous le rappelle. Celui-ci est en partie constitué de militants de groupes issus de l'extrême droite radicale. On trouve parmi eux les Zouaves Paris - groupe dissous le 5 janvier par Gérald Darmanin - mais aussi des membres de la Cocarde étudiante et des militants de l'organisation dissoute Génération Identitaire (lire cet article de Politis). Nul doute que la campagne d'Eric Zemmour leur a permis de se rassembler et de se mettre en confiance.
2 - Quels modes d'action ?
Intimidations, agressions, préparations d'attentats, la panoplie de violences déployée par les militants d'extrême droite est large. En 2021, l'agression a pourtant été leur mode d'action préféré.
« Les militants d’extrême droite s’attaquent d’abord à des quidams, qui ne le sont toutefois pas tout à fait à leurs yeux. La mouvance est ainsi spécialiste des agressions, très largement racistes puisque motivées par la couleur de peau de la victime dans près de 70 % des cas. »
C'est la conclusion à laquelle parvient l'ouvrage collectif Violences politiques en France de 1986 à nos jours, qui analyse 6000 épisodes et 9200 faits de violences commis par divers groupes politiques, de l'extrême droite à l'extrême gauche en passant par les réseaux djihadistes et indépendantistes de 1986 à juin 2020.
Une constante que l'on peut observer dans notre décompte annuel puisque près de la moitié des violences répertoriées sont des agressions. En revanche, pour l'année 2021, celles-ci sont dans leur immense majorité à destination des militants politiques et de leurs manifestations.
Les agressions racistes commises par des militants clairement identifiés comme d'extrême droite ne sont qu'au nombre de 3 (voir notre méthodologie en fin d'article). Ce résultat surprenant nous conduit à émettre deux hypothèses qui ne s'excluent pas l'une l'autre. Soit ces agressions ne constituent plus le cœur de l'activité des militants d'extrême droite violente. Soit elles sont mal documentées par la presse (Rapports de Force compris) et par les organisations qui luttent contre le racisme, syndicats et groupes antifascistes inclus.
3 projets d'attentats présumés, 17 personnes mises en examen
Outre les agressions, l'année 2021 a été marquée par 3 projets d'attentats liés à l'extrême droite et 17 personnes (dans l'immense majorité des hommes) ont été mises en examen pour des motifs terroristes. Ils ont été interpellés lors de 6 journées différentes - représentées par 6 curseurs sur notre carte - entre le mois de mai et le mois d'octobre 2021. Dans leur grande majorité ils ont été placés en détention provisoire, mais certains sont en liberté surveillée.
La plupart d'entre eux - 14 - sont présumés appartenir au groupe néonazi Honneur et Nation et soupçonnés de préparer des attentats contre des personnalités publiques, dont le ministre de la Santé Olivier Véran ou encore des journalistes, et des attaques contre des centres de vaccination et des antennes 5G. Parmi eux, trois sont également en détention provisoire pour un projet d’attentat contre une loge maçonnique en Moselle.
Honneur et Nation, dont les statuts associatifs sont déposés à Vichy, rappelle Bastamag, a été créé par Sébastien Dudognon, un ex-responsable du Front national de la jeunesse en Corrèze. Le démantèlement de ce groupe s'est fait en 4 temps. D'abord au mois de mai avec la mise en examen de trois personnes en Moselle, puis le 21 septembre avec la mise en examen de cinq personnes à différents endroits de France, dont Sébastien Dudognon, et enfin le 5 et le 22 octobre avec 6 autres mises en examen au total, dont celle de Rémy Daillet. Ce leader complotiste d'ultra droite, déjà incarcéré dans l'affaire de l'enlèvement de la petite Mia, est soupçonné être à l'origine des projets terroristes d'Honneur et Nation.
Les deux autres projets d'attentats présumés ont été préparés par des hommes relativement isolés. Le premier, un jeune homme de 19 ans, arbitrairement renommé « Simon » dans la presse, a été arrêté près du Havre fin septembre. Ce jeune adorateur d'Adolphe Hitler projetait un double attentat terroriste au Havre à la fois contre une mosquée et contre son ancien lycée au 22 avril 2022, date de l’anniversaire de son idole.
Les autres arrestations concernent deux hommes et ont eu lieu au mois de novembre dans la ville de Montauban (Tarn-et-Garonne) ainsi que dans un village du département de la Gironde. Les deux hommes mis en examen sont tous deux proches de la tendance de l'ultra droite dite « accélérationniste ». Cette idéologie complotiste soutient qu’une guerre civile entre « français de souche » et « population d'origine étrangère » est proche et qu'il vaut mieux la déclencher avant que la proportion d'immigrés ne soit trop forte, afin de pouvoir la gagner.
4 salves d'arrestations pour possession illégale d'armes
En 2021, 4 salves d'arrestations au sein des milieux d'extrême droite armés ont également eu lieu. Elles n'ont toutefois pas donné lieu à des mises en examen pour des faits de terrorisme. Deux groupes ont été visés : le groupe survivaliste et accélérationniste « Recolonisons » et un autre groupe survivaliste organisé autour de Saint-Etienne.
Pour le premier de ces deux groupes, « Recolonisons », douze hommes et une femme de 21 à 52 ans ont été interpellés et placés en garde à vue à divers endroits de France le 23 novembre. Des perquisitions ont entraîné la saisie de 51 armes de toutes catégories, dont 11 détenues illégalement, et de 1600 munitions. 4 d'entre eux ont finalement été mis en examen le 26 novembre à Marseille pour « organisation et participation à un groupe de combat ».
Pour le deuxième groupe, formé dans les alentours de Saint-Etienne, les policiers ont perquisitionné un commerce et les domiciles de trois personnes. De nombreuses armes de guerre et 2500 munitions ont été retrouvées chez ces militants. En l’absence d’éléments pouvant caractériser un projet d’attentat, le parquet de Saint-Etienne, et non pas le parquet national antiterroriste, s’est saisi des faits.
Les deux autres arrestations concernent des hommes isolés. Le premier, âgé de 26 ans, a été arrêté à Colmar fin août en possession de quatre bombes artisanales à l’uranium, des écussons nazis et une tenue complète du Ku Klux Klan posée sur un mannequin. Les deux autres ont été perquisitionnés au Mesnil-En-Ouche, dans l'Eure en possession de 130 armes dont certaines détenues illégalement ainsi que des « éléments de propagande liée à l’extrême droite, des écussons, des affiches, de la documentation néonazie typique. »
Si l'extrême droite n'a pas fait de mort cette année en France, l'historien Nicolas Lebourg rappelle toutefois que cette dernière y a tué 48 personnes depuis 1986, « dont 32 dans des crimes racistes commis entre 1987 et 2001 ». Si elle reste bien moins meurtrière que le terrorisme islamique - avec 289 homicides, dont plus de 150 pour la seule année 2015 - elle l'est en revanche bien plus que ce que l'historien nomme la « gauche radicale », qui compte les 3 assassinats perpétrés par le groupe Action directe et 2 morts violentes sur la même période.
Aujourd'hui, la possibilité d'un attentat est loin d'être à exclure. Le terrorisme d'extrême droite a en effet les moyens de puiser dans un véritable vivier : en 2020, la DGSI, citée par Médiapart, considère que le noyau dur des militants qu'elle nomme « d'ultradroite » est constitué d'environ 1 000 personnes, auxquelles s’ajoutent 2 000 « suiveurs ».
Intimidations sur internet
L'année 2021 a également été propice au développement des violences sur internet. Celles-ci sont de trois types : campagne de harcèlement, souvent raciste ou sexiste, établissement de listes de cibles militantes, voire de personnes identifiées comme juives, et enfin réalisation de vidéos violentes, mettant en scène des militants armés menaçant des opposants politiques. Des hommes et des femmes politiques, des journalistes, des syndicalistes ont ainsi été tour à tour visés par ce genre de contenu (voir carte).
Nous avons tenu à mettre ces violences sur la carte car elles témoignent selon nous d'une pratique relativement nouvelle, particulièrement violente et potentiellement encore vouée à se développer. Nous avons relevé les intimidations sur internet les plus médiatisées et les avons toutes localisées en marge de la carte de France.
3 - Lyon : laboratoire des violences de l'extrême droite
La « capitale des Gaules » est aussi celle de l’extrême droite. Bastion de feu Génération Identitaire, elle est la ville de France où ses violences ont été les plus nombreuses cette année, notamment du fait de l’union informelle des militants de divers groupuscules. Attaque de la librairie anarchiste la Plume Noire, tentative d’attaque de manifestations féministes et lesbiennes et agressions de militants progressistes... à Lyon, nous avons recensé 14 événements violents causés par l'extrême droite.
À noter que dans la ville, les locaux (bar et salle de boxe) de feu Génération Identitaire n'ont jamais vraiment fermé malgré la dissolution de l'organisation d'extrême droite. Récemment, les militants du groupe déchu ont annoncé publiquement la fusion des deux salles en une seule nommée « Les Remparts ». Malgré les nombreux faits de violence dont ils sont à l'origine, la justice lyonnaise n'a, à ce jour, pas inquiété ces militants.
En revanche, le parquet lyonnais a placé 4 militants et sympathisants du Groupe Antifasciste Lyon et Environ (GALE) en détention provisoire pendant plusieurs semaines et 3 autres sous contrôle judiciaire pour avoir « commis des violences en réunion sur une personne à raison de son appartenance présumée à un groupe d’extrême droite », lors d'une manifestation anti passe du 28 août 2021. Des mesures de privation de liberté particulièrement lourdes comparées aux peines finalement prononcées par la juge : relaxe pour 3 d’entre eux, amendes de 300€ pour les 4 autres – dont deux écopent également d’un mois de sursis pour le refus de prélèvement ADN et celui de donner ses codes de téléphone portable (voir notre article).
3 - Méthodologie
Distinguer les différents termes
La carte distingue quatre catégories de violences : intimidation, agression, arrestations et rixes. Pour différencier intimidations et agressions, un critère a été déterminant : la volonté d’exercer une violence physique contre des personnes. Si cette volonté est manifeste, et même si les violences effectives ont finalement été empêchées par l’action de militants opposants ou par celle des forces de l’ordre, nous considérons qu’il s’agit d’une agression.
S’il n’y a pas de volonté manifeste d’exercer une violence physique contre une personne, nous avons choisi la catégorie « intimidation ». Certaines attaques de locaux sont classées en intimidation et d'autres en agression, cela dépend d'une chose : y avait-il des personnes à l'intérieur lors de l'attaque ? Si c'est le cas, l'attaque a été considérée comme une agression. Sinon, c'est une intimidation.
Les rixes sont toutes signalées par la même iconographie, qu'elles soient à l'initiative de l'extrême droite, des militants antifascistes, ou que l'on n'arrive pas à déterminer « qui a commencé ».
Nous avons choisi de signaler par des couleurs spécifiques les agressions contre des élus. Non pas parce qu’ils et elles seraient des personnes plus importantes que les autres, mais parce que s’en prendre à un élu témoigne d’un sentiment d’impunité au sein de l’extrême droite qu'il nous semblait important de signaler.
Agressions racistes
Important : Nous avons choisi de ne pas répertorier les attaques racistes si elles ne sont pas le fait de personnes clairement identifiées comme des militants d’extrême droite. Ce choix est certes contestable dans la mesure où ces attaques sont souvent le fruit de la diffusion d’idées d’extrême droite et donc d’un travail de ces mêmes militants.
Pour autant, nous souhaitons que notre carte permette de mesurer le poids de l’extrême droite en France et non le niveau de racisme des Français. Dans cette optique, il y a lieu de distinguer les violences commises par une personne non affiliée clairement à l’extrême droite, de celles menées par des militants ou des personnes s'en revendiquant. C’est pour cela que vous ne trouverez pas les agressions racistes de Dole ou de Bellefort sur notre carte, aussi terribles soient-elles. C'est également pour cette raison que les violences policières racistes ne sont pas non plus répertoriées. Elles ne pourraient l'être que si les policiers en question avaient également montré des signes d'appartenance à l'extrême droite, mais nous avons rarement accès à ce type d'information.
Lieux et sources
Concernant la localisation des violences, nous essayons d'apporter un maximum de précision. Dans la mesure du possible nous avons donc situé les faits à l'endroit même où ils avaient lieu, à la rue près. Les intimidations sur internet ont toutes été placées arbitrairement dans l'océan atlantique pour des raisons de confort visuel.
Enfin : toutes nos sources sont indiquées dans les commentaires de la carte. Lorsque nous indiquons « source primaire », c'est que l'information n'est pas parue dans la presse et que nous avons eu accès à un témoignage.
PS : Notre carte est forcément incomplète. N’hésitez pas à nous envoyer vos informations sur le mail sécurisé : rapportsdeforce@protonmail.com.
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.