L’odéon occupé, des luttes dans l’industrie, des territoriaux qui refusent de travailler plus longtemps, une grosse manifestation en Guadeloupe. Serait-ce les premiers signaux de la fin de l’atonie sociale ? Un mars 68 annonciateur d’un mois de mai ? Ne nous emballons pas ! L’heure est encore à la mauvaise gestion gouvernementale de la situation sanitaire et à la menace d’un confinement. Mais les prémices d’un printemps moins formaté par l’épidémie sont peut-être là.
Grèves et manifestations
Culture : une vague d’occupations
Le mouvement fait tache d’huile depuis l’occupation de l’Odéon de Paris le jeudi 4 mars. Mardi, deux centres dramatiques nationaux, le Théâtre de la Colline et le Théâtre national de Strasbourg rejoignaient le mouvement. Objectif : obtenir la prolongation d’une année blanche pour les intermittents du spectacle, réclamer l’annulation de la réforme de l’assurance chômage et avoir une perspective de réouverture des lieux culturels. En cette fin de semaine, une quinzaine de théâtres sont occupés en France et des manifestations sont prévues dans plusieurs villes samedi. Et ce ne sont les pauvres 20 millions d’euros supplémentaires pour la culture, annoncés jeudi par Roselyne Bachelot, qui calmeront les ardeurs du monde du spectacle.
Bilan du 8 mars
Les actions ont essaimé le week-end dernier à l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Tentative de manifestation nocturne à Toulouse, rassemblement place de la République à Paris ou encore déambulation dans le vieux Lyon, les actions ont pris de multiples formes en fonction des dynamiques militantes locales. Lundi 8 mars, jour de grève, un cortège de plus de 30 000 personnes (selon la CGT) a marché dans les rues parisiennes, s’arrêtant devant les lieux où se mène le combat contre le patriarcat : hôpitaux, universités, Mc Donald’s (lire notre article).
La Guadeloupe frémit déjà
Deux à trois mille personnes dans les rues de Pointe-à-Pitre contre les licenciements consécutifs à l’épidémie de Covid-19. À l’appel de 11 syndicats, de nombreux Guadeloupéen.es ont exprimé de multiples colères qui couvent à l’ombre de la crise sanitaire.
Les agents territoriaux intensifient la lutte
Les écoles, les crèches et la propreté ont été les secteurs les plus mobilisés. Mardi 9 mars, une grève des agents territoriaux de la Ville de Paris (lire notre article) a réuni près de 800 personnes devant l’Hôtel de Ville. Les manifestants ont réitéré leur refus de l’annualisation de leur temps de travail à 1607 heures, la perte de jours de congés, et la réorganisation de leurs cycles de travail. Ces bouleversements, qui pourraient être actés dès juillet par le Conseil de Paris, sont la conséquence de l’application de la loi de transformation de la fonction publique votée en 2019. Sur plus de 50 000 agents territoriaux employés par la ville, près de 4 300 étaient en grève : un taux de grévistes de 8,13 %. C’est 2 % de plus que lors de la dernière journée de mobilisation du 4 février. Sur le reste du territoire, les mobilisations essaiment dans de nombreuses communes : Saint-Denis, Avignon, Perros-Guirec…
Rassemblement contre « Sanofric » à Bercy
Une centaine de salariés de Sanofi se sont rassemblés ce 11 mars devant le ministère de l’Économie et des Finances à Bercy à l’appel de la CGT et de SUD. Ils s’opposent au projet de 400 nouveaux licenciements, notamment dans la recherche, annoncé par la multinationale.
Les salariés de Bombardier inquiets des intentions d’Alstom
Les entrées et la sortie des camions du site de Crépin, dans la région de Valencienne, ont été bloquées par le débrayage de 400 salariés mercredi (source syndicale). Ces derniers demandent des garanties à Alstom à propos de l’emploi et des rémunérations. D’après l’intersyndicale CGT, CFDT, SUD, le constructeur français, qui a racheté l’usine en janvier, laisserait entendre que le site n’est pas rentable. Un mouvement qui pourrait se répéter une journée chaque semaine pour obtenir des réponses claires.
Ils occupent l’usine pour leur survie
Un scénario qui n’est pas sans rappeler quelque peu celui des GM&S en 2017 dans la Creuse : 365 emplois menacés à la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM), une fonderie passée sous pavillon chinois et travaillant principalement pour Renault. Et il y a déjà trois semaines une manifestation de 2000 personnes à Decazeville. Depuis quelques jours, ses salariés, confrontés à un seul projet de reprise entraînant la suppression de 214 emplois, se sont mis en grève. Et se relaient jour et nuit pour occuper l’usine. Jeudi, ils ont manifesté avec les salariés de Bosch où 750 emplois sont sur la sellette.
Rassemblement contre le placement en rétention de Madama
Trois cents personnes se sont de nouveau rassemblées mercredi dans l’urgence devant la préfecture du Puy-en-Velay, au lendemain du placement en rétention du jeune Madama (lire notre article). La colère ne redescend pas contre l’attitude du préfet et une autre manifestation est programmée samedi.
PSE, licenciements, chômage
Bosch liquide, Le Maire blablate
Un autosatisfecit qui passe mal. « Si l’état n’était pas intervenu, on ne parlerait plus du site de Bosch à Rodez » a déclaré Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie mercredi au micro de BFM Business. Pourtant, c’est tout comme. Le groupe allemand, premier employeur privé du département, a annoncé cette semaine supprimer 750 des 1250 emplois de son site de Rodez dans l’Aveyron. Et n’a rien promis en termes d’investissement pour pérenniser les 500 emplois restants au-delà de 2025.
Renault vend la Fonderie de Bretagne
Une trahison pour les syndicats du site de Caudan en Bretagne et un coup dur pour les 350 salariés. Jeudi 11 mars, le groupe automobile a expliqué chercher un repreneur. Lors de l’annonce au printemps 2020 d’un plan d’économie de 2 milliards et de la suppression de 4600 emplois en France, les salariés de la Fonderie de Bretagne avaient débrayé. Malgré le choc, les syndicats ne comptent pas rester sans réagir : des actions se préparent d’ici le prochain conseil économique et social.
Chômage : ce que vous allez perdre
En avant-première, l’Obs a publié les simulations de l’Unédic qui permettent d’évaluer la baisse des revenus issus des allocations chômage une fois la réforme appliquée. Pour les personnes qui alternent emploi et périodes de chômage, le montant moyen de l’allocation mensuelle pourrait diminuer de près de 250 € (lire notre article).
Sous-traitance aéronautique : un de plus
Les salariés de T-Systems, un sous-traitant d’Airbus se sont mobilisés cette semaine contre le PSE qui vise leur entreprise. Cette filiale du géant allemand des télécommunications Deutsche Telekom a décidé de fermer son site de Toulouse et les 44 emplois sur place sont menacés.
Simra, quand les sombres promesses se réalisent
Dans l’aéronautique encore, la société Simra à Méaulte-Albert qui fabrique des pièces pour Stelia, une filiale d’Airbus, va fermer son site d’ici la fin mars. Le plan de la direction était connu dès l’été 2020, il se réalise désormais. Au détriment des salariés qui seront une centaine à rester sur le carreau.
Crédit lyonnais : 250 guichets en moins
La banque LCL, dont le siège social se trouve à Lyon, a annoncé début mars la fermeture de plusieurs centaines de ses agences courant 2022. Au total, au moins 250 agences sont concernées sur l’ensemble du réseau LCL qui en compte actuellement 1600. Il s’agirait des plus petites agences, comptant moins de quatre salariés, ce qui fait tout de même près de 1000 suppressions de poste.
Écologie
Loi Climat
L’examen du projet de loi « Climat et Résilience », commencé le 8 mars, se prolongera jusqu’à son arrivée dans l’hémicycle à la fin du mois. Il est jugé bien en deçà des enjeux actuels par les organisations écologistes, la gauche parlementaire et les membres de la Convention citoyenne pour le climat, qui ont travaillé pendant des mois à l’élaboration d’un rapport préparatoire. Seules 46 propositions ont été retenues sur les 149 établies par cette Convention citoyenne. Parmi celles-ci, un tiers se retrouvent tronquées, tandis que d’autres voient leurs périmètres d’action réduits ou leurs délais de mise en œuvre allongés, comme l’a analysé France Info. Dans son avis rendu en février, le Haut Conseil pour le Climat, composé de treize experts indépendants, critique un « manque d’ambition sur la portée, le périmètre ou le calendrier des réformes proposées ».
Des mouvements pour une « vraie loi Climat »
Le 19 mars, pour le dernier jour de l’examen du projet de loi en commission, une journée de grève mondiale a été lancée par l’organisation Youth for Climate. Elle est soutenue par plusieurs organisations et syndicats enseignants comme le FSU. Des marches et rassemblements auront lieu dans une trentaine de villes en France.
Près de 150 organisations (Amis de la Terre, Alternatiba, FSU, Droit au Logement…) ont quant à elles lancé un appel à une marche nationale le 28 mars, la veille de l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale. Il s’agira de revendiquer une loi Climat « à la hauteur de l’urgence écologique » et de défendre les 149 propositions qui avaient été établies par les membres de la Convention Citoyenne.
Fin de poursuites pour ArcelorMittal
Jeudi 11 mars, la Cour d’appel de Metz a mis un terme à la procédure judiciaire contre ArcelorMittal Florange, jugé pour gestion irrégulière des déchets. Des poursuites avaient été engagées suite à la vidéo diffusée par le lanceur d’alerte Karim Ben Ali, chauffeur intérimaire, qui dénonçait des déversements d’acide illégaux dans la nature. Or, entre-temps, comme l’explique France Bleu, la filiale ArcelorMittal Atlantique-Lorraine a fusionné avec la maison-mère du groupe sidérurgique. Ce changement de forme juridique a suffi pour entraîner l’annulation des poursuites.
Nucléaire en Polynésie
Nos confrères de Disclose ont publié cette semaine un ample travail d’investigation sur les essais nucléaires en Polynésie française, en collaboration avec le centre de recherches en justice environnementale INTERPRT. Cette enquête revient sur 30 ans d’opérations, pratiquées depuis les années 60 loin de la métropole. Elle décrypte « l’ampleur des retombées radioactives qui ont frappé les archipels du Pacifique et les mensonges de l’État sur la contamination des populations ». L’ouvrage « Toxique », co-signé par le journaliste Tomas Statius et le scientifique Sébastien Philippe (auteurs de l’enquête de Disclose), vient de paraître aux éditions PUF.
Fukushima, 10 ans après
Cette semaine marque les dix ans de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Passée cette décennie, le gouvernement japonais prévoit désormais la réouverture de la zone d’exclusion nucléaire pour 2022-2023. De quoi soulever les inquiétudes de la population, à l’heure où le territoire autour du site démontre encore un haut seuil de radioactivité. Bastamag a publié un dossier questionnant les implications sociales et démocratiques d’une telle décision politique (lire ici et là).
Du côté du gouvernement
Paris au bord du confinement
L’épidémie y flambe-t-elle ? Oui ! Le gouvernement confine-t-il ? Non, il attend ! Dimanche, semble-t-il. Et prévoit déjà le transfert de « dizaines, voire de centaines » de patients en réanimation. Le taux d’incidence a dépassé les 400 pour 100 000 dans plusieurs départements d’Île-de-France, et le niveau de saturation des services de réanimation exigerait de nouvelles mesures pour stopper la progression épidémique. Mais l’exécutif semble encore joueur. Le « pari » de Macron du mois de janvier est pourtant perdu. Pas vraiment pour lui, mais celles et ceux qui finissent à l’hôpital ou pire.
Quotas de femmes dans les directions d’entreprises
Les mobilisations autour de la journée du 8 mars avaient mis l’accent sur « les premières de corvée » et le travail invisibilisé – aides à domicile, soignantes, travailleuses sans-papiers… Loin de ces priorités, un projet de loi pour « accélérer l’égalité économique et professionnelle » entre hommes et femmes a été déposé par la majorité parlementaire, ce 8 mars. Porté par Marie-Pierre Rixain, députée LREM, il vise à instaurer des quotas de femmes dans les 10 % de postes à plus haute responsabilité, au sein des entreprises de plus de 1 000 salariés. Ces instances dirigeantes devront compter 40 % de femmes en 2030. Le projet de loi contient d’autres mesures, dont la réservation de places pour les familles monoparentales dans les crèches.
Le budget de la Sécu un peu moins dans le rouge écarlate que prévu
Le ministre des Comptes publics a annoncé mardi que le déficit 2020 de la sécurité sociale s’établissait finalement à 38,9 milliards d’euros. Soit prêt de 10 milliards de moins que prévu initialement par le gouvernement. Un déficit historique dû à la fois à une augmentation des dépenses, pour cause de Covid-19, et à un effondrement des recettes : récession économique, report des cotisations sociales des entreprises, choix gouvernemental de ne pas rapatrier les « dettes Covid » dans le budget de l’État.
International
Les livreurs espagnols bientôt salariés
Sale temps pour les plateformes. Après les jugements défavorables de la plus haute cour anglaise pour Uber, puis du parquet du tribunal de Milan en Italie pour UberEat et Deliveroo, c’est au tour de l’Espagne d’infliger un camouflet au modèle économique de la Foodtech. Le gouvernement espagnol et les partenaires sociaux ont trouvé un accord cette semaine pour introduire dans le Code du travail une « présomption de salariat » concernant les livreurs, aujourd’hui considérés comme des autoentrepreneurs. Mais Uber ne s’avoue pas vaincu pour autant. La plateforme est à la manœuvre pour peser sur une directive européenne à venir, qui s’imposerait à chaque état membre (lire notre article).
Ouverture du procès du policier qui a tué Georges Floyd
C’est un des deux événements les plus scrutés de l’autre côté de l’Atlantique, à côté du plan de relance de Joe Biden. Le procès de Derek Chauvin, le policier responsable de la mort de Georges Floyd, s’est ouvert mardi à Minneapolis. Il entrera sur le fond du dossier à la fin du mois pour un verdict qui devrait être rendu fin avril. Le 25 mai 2020, le policier était resté plus de 8 minutes agenouillé sur Georges Floyd, alors que ce dernier, menotté et plaqué au sol, avait signifié à de nombreuses reprises ne plus pouvoir respirer. S’en est suivi un des plus grands mouvements de protestation contre le racisme et les violences policières aux États-Unis. Avec des répliques dans le monde entier.
1900 milliards de dollars de relance aux États-Unis
Le choix de l’huile dans le moteur. Mercredi, Joe Biden a réussi à faire passer au Sénat son plan de relance : 1900 milliards de dollars (1600 milliards d’euros). Le troisième depuis le début de la pandémie. Objectif : faire redémarrer l’économie, notamment en relançant la consommation par des chèques aux Américains pour un montant de 400 milliards de dollars.
Grève générale et répression en Birmanie
18 organisations syndicales birmanes ont lancé lundi une grève générale contre le coup d’État militaire du mois de février. De très nombreux secteurs d’activité ont été touchés dans le public et le privé. Depuis le début des mobilisations contre la junte militaire, la répression a déjà fait plus de 60 morts et le nombre d’arrestations dépasse les 1800 selon le décompte de l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (lire notre article).
Retour au calme au Sénégal
Après plusieurs jours de vive contestation à Dakar, la mobilisation de citoyens sénégalais contre le pouvoir en place s’est stabilisée. Nombre d’étudiants étaient descendus dans les rues de la capitale, où les manifestations sont pourtant interdites depuis un an, comme le relate Mediapart. Point de départ de cette colère : l’arrestation du député Ousmane Sonko, l’une des principales figures de l’opposition, le 3 mars, dont l’immunité parlementaire a été levée par la suite. Ce dernier a été libéré, et est placé sous contrôle judiciaire depuis le 8 mars.
De Barcelone à Bruxelles
Mardi 9 mars, le parlement européen a levé l’immunité du député et ancien président de la Généralité de Catalogne Carles Puigdemont et de deux autres députés catalans. Par 400 voix pour, 248 contre et 45 abstentions. Cette décision ouvre la voie à leur extradition et une possible détention en Espagne.
Et aussi
Affaire Tefal : 7 ans de procédure et une sanction
Après sept ans de procédure judiciaire, la Cour de cassation a confirmé la sanction de Laura Pfeiffer pour violation du secret professionnel et recel de documents confidentiels appartenant à l’entreprise Tefal. En 2013, cette inspectrice du travail s’était penchée d’un peu trop près, au goût de la société Tefal (groupe Seb) plus gros employeur de Haute-Savoie, sur un accord portant sur le temps de travail.
Lyon la Duchère et ses suites
Des affrontements urbains ont eu lieu dans différents quartiers populaires de Lyon ainsi que dans sa banlieue cette semaine. Ils font suite à la chute de scooter d’un jeune de 13 ans dans le quartier de Lyon la Duchère en fin de semaine dernière. Les jeunes du quartier sont persuadés que l’accident est lié à l’action de la police, ce que la préfecture réfute catégoriquement.
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.