syndicalisme

1er mai : malgré une période morose, des luttes victorieuses

Dans un climat social tendu, la mobilisation du premier mai fait surgir une éclaircie bienvenue dans le ciel bien gris du mouvement social. Licenciements, austérité, répression, le moral des militants est mis à rude épreuve. Pourtant, des piquets de grève aux occupations, des manifestations aux assemblées générales, le mouvement social bout à petit feu en espérant s’étendre. 

La mobilisation contre la réforme des retraites en 2023 et la campagne des élections législatives de 2024 ont eu des effets contradictoires sur l’état d’esprit du mouvement social : avec d’un côté une mobilisation sans précédent de plus de six mois et un regain d’intérêt pour les syndicats et de l’autre, une victoire électorale face au bloc macroniste et à l’extrême droite.

Pourtant, en ce premier mai 2025, la gauche n’est pas au pouvoir et le gouvernement, dirigé par François Bayrou, n’entend pas revenir sur la réforme des retraites, adoptée par 49.3 en mars 2023. « Cette séquence a pu en résigner certains. Difficile de se mobiliser dans la rue ou par la grève, ou même de voter, puisque de toute façon, on ne nous entend pas », concède Julia Ferrua, secrétaire nationale de Solidaires.

La criminalisation du mouvement de solidarité avec la Palestine, la libération de la parole raciste et l’entêtement du gouvernement à poursuivre une politique budgétaire antisociale et impopulaire ont enfoncé le clou. « Le mouvement de résistance se cherche, analyse Olivier Besancenot, porte-parole du NPA. On est dans cette période de transition qui est frustrante par nature », poursuit-il, déplorant « l’invisibilisation de la question sociale par le traitement politique dominant ».

Passer ces sombres constats, la situation peut pourtant être nuancée. « Il y a toujours cet espoir que, vu toutes les mobilisations qui ont lieu au niveau sectoriel ou auprès des territoires, il y a quelque chose qui finisse par flamber et que ces feux arrivent à construire une grosse mobilisation », soutient Julia Ferrua. « Il se passe des choses, même si ce n’est pas la déferlante, il y a des conflits qui éclatent contre les licenciements ou les salaires », abonde le porte-parole du NPA.

Si le tableau d’ensemble peut sembler démoralisant, le nombre de luttes collectives n’a pourtant pas diminué depuis 2020, selon les statistiques de la DARES. Si ces chiffres n’indiquent pas un niveau particulièrement haut de mobilisations au travail, une hausse, faible, mais tendancielle, se dessine. En 2022, 35,4% des entreprises de plus de 500 salariés ont connu une grève, une hausse de 8% depuis 2021. 7,2% des entreprises de 100 à 199 salariés ont enregistré au moins une grève en 2022, contre 9,7% en 2023. Année marquée par le mouvement contre la réforme des retraites, les grèves dans les entreprises de 500 salariés ou plus sont restées stables en 2023, mais le nombre de jours de grève a bondi de 73% par rapport à 2022. Sans surprise, ce sont les salaires et les conditions de travail qui motivent majoritairement les grèves en entreprise.

Ces dernières semaines, des éboueurs à Saint-Étienne, des postiers à Orléans, des ouvriers de l’usine Bosch de Mondeville en Normandie ou des salariés du site Géodis à Gennevilliers (92), sont entrés en grève pour exiger des augmentations de salaire et obtenir de meilleures conditions de travail. À Saint-Étienne, la grève a été levée sans victoire, mais avec la promesse de concertations, tandis qu’à Gennevilliers, les ouvriers du dépôt de Géodis ont arraché une augmentation de 150 euros. À l’usine Bosch, qui doit fermer ses portes en laissant sur le carreau les 400 salariés, les grévistes ont obtenu une prime de fermeture. Chez Arcelor Mittal, où un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) prévoit de supprimer 600 emplois sur les sept sites français, les syndicats ont prévenu qu’ils ne se laisseront pas faire et appellent à une large mobilisation à Dunkerque le 1er mai.

Le 20 mars, à Sète, les salariés d’Ekol Logistique se sont mis en grève pour protester contre un plan social qui visait à licencier 27 salariés. Une semaine plus tard, le PSE a été annulé, le dirigeant du site limogé, et tous les emplois sauvés. Le 2 avril, c’est au tour du dépôt logistique d’IMX France à Pantin d’entrer en grève, pour exiger une revalorisation salariale et la tenue de négociations annuelles obligatoires. Organisée sans syndicats, sous-représentés dans la logistique, la grève a abouti à la création d’une section syndicale dans l’entreprise. Chez Rapports de force, nous racontions aussi la grève illimitée chez Lidl qui a abouti à l’ouverture de négociations, celle des salariés de Primark qui se mobilisent contre leurs conditions de travail, ou chez Stellantis, où les salariés de Poissy ont engagé un bras de fer contre la fermeture programmée du site.

« Très concrètement, il faut pouvoir valoriser chaque lutte. Chaque lutte est importante, une lutte victorieuse pour les uns, est utile pour tous les autres. Ce sont des éléments déterminants qui participent à ne pas désespérer », soutient Thomas Vacheron, membre du bureau confédéral de la CGT.

Pour combattre ce sentiment de désenchantement, la page Facebook « Luttes invisibles » recense toutes ces luttes qui ne font pas la une. « Ce simple recensement pourrait pourtant permettre à tout un chacun de voir que les travailleurs se battent et permettrait de combattre les préjugés que font suinter les médias bourgeois chez les travailleurs », peut-on lire sur cette page.

Étudiants, culture, médico-social, fonction publique : des secteurs toujours mobilisés

Qui médiatise encore le quotidien des habitants de Mayotte frappé de plein fouet par l’ouragan Chido, au moment de l’arrivée de François Bayrou à Matignon ? Livrés à eux-mêmes, les travailleurs ne se laissent pourtant pas faire. Le 8 avril,  un appel à la grève générale était lancé par les organisations syndicales de l’île contre la loi programme présenté aux élus mahorais par Manuel Valls. Deux jours après, les salariés des travaux publics, obtenaient le versement de la prime Chido, promise par Macron. D’autres entreprises les imitaient dans la foulée. Idem pour le personnel aéroportuaire en février. Le même mois, les agents hospitaliers arrachaient une aide financière de 2000 euros après un arrêt de travail d’une semaine. En Guadeloupe, le secteur public est également en ébullition… Fin mars, un enseignant sur cinq s’est mobilisé contre la suppression de 89 postes, prévue à la rentrée 2025. Treize postes seront sauvegardés. En Guyane, les enseignants signaient  un protocole de fin de conflit qui prévoyait un rattrapage du manque après la pression mise par une intersyndicale.

En métropole, le secteur public a donné de la voix, comme le documente régulièrement Rapports de Force. Étudiants et personnel de l’enseignement supérieur ont ainsi manifesté le 11 mars. Dans le médico-social, aides à domicile, pédo-psychiatres ou éducateurs spécialisés cherchent à « amplifier l’unité » après des manifestations dans plusieurs grandes villes début avril. Le manque de moyens et de revalorisation salariale sont au cœur des préoccupations. Il n’y a pas de fatalité. Après onze jours de lutte, infirmières et aides-soignantes ont imposé la création de 14 postes au CHU de Villeneuve-Saint Georges. Également en proie aux coupes budgétaires, le milieu culturel a peut-être initié « un mouvement d’ampleur», le 20 mars dernier.

Tout ce monde interprofessionnel s’est croisé le 3 avril dans la rue pour protester contre l’austérité infligée par le gouvernement. Ils se retrouveront le 13 mai pour une seconde mobilisation. Deux jours avant, le 1er avril, les agents de France Travail, éreintés par les réformes successives du chômage et du RSA, ont relativement répondu à l’appel à la grève leurs syndicats. Selon nos informations, certaines agences ont débrayé à 80 % en dehors de l’appareil intersyndical. Les retraités donnaient de la voix, le 20 mars, pour défendre leurs pensions, deux ans après la réforme des retraites. Sans compter les cheminots de la SNCF qui appellent à cesser le travail lors du pont du 8 mai. 

Cette vitalité du mouvement ne se limite pas au monde du travail. En Essonne, Véronique Josien, secrétaire générale de l’UD CGT 91, note une « intensification » des mobilisations organisées en intersyndicale et interassociative : « On se mobilise avec ATTAC, la LDH, la CIMADE, ATP Quart Monde, sur les services publics et les budgets. C’est quelque chose qui prend beaucoup de place et qui répond à une vraie demande des militants d’avoir des débats qui n’existent pas dans les médias ». L’occupation de la Gaité lyrique à Paris de décembre 2024 à mars 2025 a aussi visibilisé une lutte portée par le collectif des jeunes de Belleville, composés de mineurs isolés à la rue, qui a réussi à créer un mouvement où se sont agrégées diverses composantes du mouvement social : associations, syndicats et partis politiques. L’auto-organisation, tout en maitrisant des modes d’actions impactant, a donné une crédibilité à ce mouvement, qui essaime maintenant à Toulouse, Marseille, Rennes, Rouen, Lille, Clermont-Ferrand et Tours. Le 22 mars 2025, leur cortège parisien était incontournable dans la manifestation antiraciste, qui a rassemblé 100 000 personnes et plusieurs milliers dans 200 manifestations partout en France.

Mais le mouvement le plus notable de ces dernières années est à observer du côté des luttes écologistes, où les questions sociales et internationales n’ont pas été mises de côté. Le 26 février dernier, des militants des Soulèvements de la terre ont rallié le piquet de grève des ouvriers de Géodis en grève à Gennevilliers. « Les merguez ont donc côtoyé les saucisses végans. Dans les prises de parole, les cégétistes disaient “c’est nous les écolos” et les écolos “on fait la lutte des classes”. Plus qu’une alliance, c’est un champ de lutte partagé qui s’offre à nous », se réjouissaient Les Soulèvements de la terre après l’action. Engagés l’an dernier dans une campagne contre l’implantation du centre logistique Greendock à Gennevilliers, les écolos n’ont pas laissé de côté la question sociale, en luttant à la fois contre l’impact environnemental de ce centre, mais aussi les conditions de travail des ouvriers de la logistique. Et les Géodis ont participé pleinement à cette campagne.Le 10 avril, c’est une grève chez le fabricant de puces Microelectronics à Grenoble qui a rassemblé les syndicalistes CGT, les écologistes des Soulèvements de la Terre et les militants d’Urgence Palestine. L’entreprise fournit d’un côté du matériel électronique à Israël, tout en accaparant l’eau et les terres autour de Grenoble.

« Il y a de nouvelles formes de lutte et de mobilisations qui produisent de la radicalité et des perspectives de long terme, soutient Olivier Besancenot. Il ne faut pas croire qu’il ne se passe rien dans le mouvement social au sens global du terme. Ce qui s’est traduit politiquement par le Nouveau Front populaire, ce n’est pas simplement la décision des appareils politiques, c’est aussi un aboutissement de ce travail de convergence qui s’est fait dans les quartiers populaires, avec les mouvements féministes et LGBT, les écologistes et les syndicats », ajoute-t-il. La campagne Désarmer Bolloré est emblématique de ces nouvelles formes de lutte. Elle rassemble des organisations antiracistes, écologistes, syndicales et féministes qui défileront sur terre ou sur mer le 24 mai prochain dans le Finistère contre Vincent Bolloré, son empire industriel et ses médias d’extrême droite.  

Avec Ludovic Simbille.